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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1020

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un jour un de ces genêts qu’il avait rencontrés autrefois dans les ruines de Rome, et, saluant cette plante « amie des tristes solitudes et compagne des fortunes affligées, » il s’écriait :


« Ces champs poudrés de cendres et recouverts d’une lave pétrifiée qui résonne sous le pied du passant, ils furent autrefois des campagnes joyeuses, dorées d’épis, retentissant du mugissement des troupeaux ; ils furent des jardins et des palais, des cités fameuses… Maintenant tout est ruine et deuil Autour de la fleur solitaire, et, comme si elle prenait pitié du malheur des autres, elle exhale au ciel un parfum qui console le désert… Ah ! qu’il-vienne donc ici, celui qui exalte le sort de l’homme, et qu’il voie combien nous sommes chers à la nature aimante !…

« Mais il est un noble cœur, celui-là qui ose soulever les yeux mortels contre la destinée commune, et dont le franc parler, sans rien cacher du vrai, confesse le mal qui nous fut donné en partage, et la bassesse, la fragilité de notre condition ; — celui-là qui se montre grand et fort dans la souffrance, et qui n’ajoute pas à ses propres misères les haines et les colères fraternelles, pires que toutes les autres disgrâces, en accusant l’homme de son mal, mais qui en rejette la faute sur la vraie criminelle (la nature), mère des hommes par l’enfantement, marâtre par la volonté…

« C’est elle qu’il appelle ennemie, c’est contre elle qu’à ses yeux la famille humaine est assemblée, organisée, et que sont confédérés tous les hommes, — et tous il les embrasse avec un véritable amour ; il leur prête et il attend d’eux un ferme et prompt secours dans les périls partagés et dans les angoisses de la guerre commune. »


Leopardi prêchait donc une association de la race humaine contre la nature, « la nature impie, » comme il l’appelait. Il avait le droit de s’en plaindre. La phthisie et l’hydropisie le torturaient à la fois, ses yeux étaient malades, son dos voûté ; son corps malingre et disgracié présentait la difformité de Triboulet : il fut l’Ésope de la poésie. Aussi ne voulait-il pas se laisser voir ; il dormait le jour et ne sortait, ne vivait que la nuit ; il s’asseyait alors sur les pentes du volcan et prenait en pitié ou en dérision l’orgueil des hommes. C’est là que le poète « élégamment désespéré, » comme l’appelait Tommaseo, décrivit les éruptions du Vésuve dans une période magnifique et célèbre que nous essayons de traduire littéralement.


« Comme, en tombant de l’arbre, un petit fruit que, dans l’automne avancé, abat la maturité sans autre effort écrase, dévaste et couvre en un moment les demeures d’un peuple de fourmis creusées dans la terre molle avec un grand travail, et les œuvres et les richesses que la famille laborieuse avait prudemment amassées pendant l’été, — ainsi, tombant tout à coup du ciel, où il avait été lancé des entrailles tonnantes, un amas de cendres, de scories et de pierres, — écroulement ténébreux — traversé de ruisseaux bouillans, — ou, sur les flancs de la montagne, descendant furieux dans les herbes, un immense torrent de masses liquéfiées, de métaux et de sables enflammés, — atteignit les cités que la mer baignait là-bas,