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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1039

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autour d’eux, dans leurs maisons, des centaines d’auditeurs ; mais après 1848, ces maîtres étant proscrits, les hommes obscurs et illettrés pour la plupart qui restèrent chargés de l’enseignement privé s’adonnèrent au métier le plus facile. N’étant soumis à aucune épreuve (sauf à un examen sur le catéchisme), il leur était permis d’ignorer ce qu’ils enseignaient et de maintenir leurs auditeurs dans cette ignorance. De là cette foule de médecins sans diplômes, moins nombreux à Naples cependant que les avocats subalternes (les paglietti, comme on les a longtemps appelés), pauvres hères affamés, brouillons, bavards, universellement moqués et méprisés, Tel était le résultat de ce qui s’appelait la liberté de l’enseignement, et qui n’était que la liberté de l’ignorance. Le nouveau régime est venu mettre ordre à ces abus. Aujourd’hui l’instruction est obligatoire, et depuis l’instituteur primaire jusqu’au professeur d’université, nul n’enseigne, s’il n’a subi ses examens. Les corporations religieuses elles-mêmes n’échappent pas à une inspection sévère ; les barnabites sont tenus de prouver qu’ils entendent le latin. Voilà pour les maîtres ; quant aux étudians, la durée de leurs études est fixée, et d’une année à l’autre ils ont des interrogatoires à subir : il faut qu’ils sachent le droit, s’ils veulent être avocats, — la médecine, s’ils veulent être médecins. On a trouvé ces lois draconiennes, elles le sont peut-être, mais elles n’ont fait de tort qu’à l’enseignement privé. En revanche, l’université s’est repeuplée en un moment ; les maîtres savent, et les étudians apprennent.

Qu’apprennent-ils ? Quel est l’esprit qui règne à l’université de Naples ? C’est en général l’esprit allemand. On ne s’en étonnera pas après ce qu’on sait du mouvement philosophique provoqué par les livres de M. Cousin. Une circonstance contribua beaucoup à cette « invasion de barbares, » comme disent les philosophes de clocher : ce fut le ministère de M. de Sanctis, l’un des hommes les mieux doués des provinces méridionales. Il était arrivé de son village à Naples entre 1830 et 1840, et il avait suivi les leçons du marquis Basilio Puoti. Ses parens le rappelèrent, à grands cris, voulant le mettre à la charrue ; mais Puoti, pressentant l’avenir du jeune homme, lui fournit les moyens de désobéir. M. de Sanctis ouvrit une école, bientôt très peuplée et très prospère. Il fut libéral en 1848 et par conséquent emprisonné. On le mit au fort de l’Œuf, où il fit amitié avec des officiers suisses qui lui apprirent l’allemand. Il lut Hegel et devint hégélien dans cette captivité studieuse. Un jour on vint lui dire qu’il était libre et qu’il pouvait aller à Malte. Il s’en affligea d’abord, regrettant le cachot où l’on pouvait penser si librement. Enfin il partit et gagna Turin, où il donna des leçons sur Dante. Il devint ensuite professeur de littérature italienne à l’école polytechnique de Zurich. Rappelé par la révolution, il arriva