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Les catholiques ont profité de cette faveur après la révolution pour se cramponner aux dernières planches de cette philosophie naufragée et se rattacher à un giobertisme de seconde main, accommodé aux idées courantes, et offrant à certains esprits à la fois tolérans et timorés une sorte de radeau qu’on peut au besoin pavoiser à l’italienne. À côté de ce groupe de philosophes, qu’on pourrait nommer l’école de la transaction, il y a l’école de la réaction, la philosophie bourbonnienne. Les penseurs de ce parti sont thomistes ; ils ne connaissent que saint Thomas d’Aquin. Tout sort de lui, tout y mène ; pas un mot dans Spinoza, ni dans Kant, ni dans Hegel, qui n’ait été dit depuis six cents ans par l’ange de l’école. Polémistes violens, les thomistes ont un journal, la Civiltà cattolica, qui s’imprime à Rome, où il est défendu de leur répliquer ; ils y sont invincibles. On distingue pourtant parmi eux un homme de talent, M. Sanseverino, qui a publié à Naples en 1862 une Philosophia christiana cum anliquâ et novâ comparata. Citons encore un esprit accommodant, le père Liberatore, à qui il faut savoir gré d’avoir reconnu quelque mérite à Bacon, et de s’être montré poli envers Descartes.

Ces essais de transaction ou de réaction philosophique ont-ils de l’avenir ? On peut en douter, surtout depuis la convention du 15 septembre. C’est l’université qui est le centre du mouvement sérieux, et il est permis d’espérer qu’il en sortira quelque chose. Les esprits chagrins déplorent l’invasion de certaines sciences d’origine nouvelle, — la philosophie du droit, de l’histoire, de la religion, de la nature, la philologie comparée surtout, sans laquelle le monde tournait si tranquillement sur lui-même depuis six mille ans. Ils craignent que cette influence germanique ne produise, comme eût dit Rabelais, que des « abstracteurs de quintessence. » Cette crainte est chimérique, il n’y a pas de connaissance inutile, ni d’idée qu’on ne doive mettre au jour, ne fût-ce que pour l’éprouver, car en plein soleil toute fausseté pâlit, toute vérité rayonne. Cette activité d’esprit est un exercice nécessaire qui peut fatiguer les faibles, mais qui retrempe les forts. D’ailleurs les maîtres napolitains ne s’érigent point en arbitres des consciences. En exposant telle doctrine avancée, ils ne disent pas : Voici la vérité éternelle, immuable. Ils disent seulement : La pensée humaine est allée jusque-là. Il faut voir de bonne heure ces limites de la pensée, comme on voit les limites de la science, non pour s’y arrêter, mais pour les franchir, pour les reculer au besoin, et en tout cas pour les connaître. Enseigner, éclairer, voilà le but de toute université, même officielle. Celle de Naples est maintenant une des premières d’Italie, peut-être là plus complète et la plus peuplée ; les étudians s’y pressent en foule, surtout