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ceux des provinces : l’ancienne capitale n’en fournit qu’un sur cent[1] ; mais des Pouilles, des Calabres, surtout des Abruzzes, accourent par milliers chaque automne, à l’université de Naples, des populations studieuses, qui, une fois de retour dans leur pays presque barbare, y rapporteront la civilisation. Dispersés naguère dans les écoles privées, les écoles renfermaient dans une étude spéciale ; les sages règlemens du ministre Matteucci les obligent maintenant à suivre les cours, à passer un examen chaque année, et à le passer, non plus, comme autrefois, sur la confession et la communion, mais sur la science qu’ils apprennent, et qu’ils sont désormais forcés de connaître. Outre cette science, toutes les autres leur sont offertes, et ils se gardent bien de les refuser. M. Taine citait dans la Revue un jeune Abruazais, un étudiant en droit, qui parle dix langues et n’a que vingt et un ans. Il n’est pas le seul de sa trempe à l’université de Naples. Que de promesses pour l’Italie et quelle sécurité pour son avenir ! Toute cette ardente jeunesse ignore l’ancien régime ; elle n’y a pas vécu, n’en a pas souffert, ne saurait désormais le subir. Elle a pris dans l’air libre qu’elle respire des désirs et des besoins que le retour au passé ne saurait satisfaire, et elle s’insurge déjà contre les résistances qui voudraient arrêter le mouvement italien. Ce sont donc des intelligences nourries d’idées modernes qui vont former l’aristocratie provinciale de l’ancien royaume sicilien. Ces étudians, continuellement relevés par d’autres, seront les magistrats, les notables des préfectures, les autorités des communes, les conseillers, les défenseurs, les instituteurs des villageois et des paysans. Quelle révolution morale ils vont provoquer dans des pays où le clergé seul, il y a quatre ans, gouvernait les esprits et les consciences ! Certes, nous l’avons vu, les hommes d’érudition et de talent ne manquaient pas sous l’ancien régime, mais ils vivaient disséminés, se formaient seuls, se condamnaient volontiers au silence et à l’isolement. Le premier souci de la révolution a été de répandre ce savoir, autrefois accumulé chez quelques hommes, et de commencer par l’enseignement son grand travail de rajeunissement et de réparation. Et à ceux qui demanderont si l’unité italienne a produit quelque chose de vivant sur le terrain de l’intelligence après quatre années d’épreuves et d’efforts, on peut répondre hardiment qu’elle a produit l’université de Naples, immense laboratoire de pensée et de science, où, autour de plus de soixante chaires, se pressent plus de dix mile étudians.


MARC-MONNIER.

  1. A cause des traditions de l’ancien régime. Les citadins destinaient leurs fils aux innombrables places de l’administration, qui nourrissaient par milliers les ignorans et les oisifs.