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intérêts qui touchent la France et le monde à classer suivant leur gradation imposante, le passé interrogé sans cesse comme pour répandre une lumière poétique sur le présent, l’esprit semé partout, l’émotion éclatant avec d’autant plus de force qu’elle est moins prévue, tout cela fondu avec ce naturel parfait où, comme dans le modelé des grands maîtres ; on savoure l’art le plus caché et le plus exquis, voilà ce discours. L’orateur a pu exercer d’autant plus librement ses facultés merveilleuses qu’il embrassait un sujet arrivé déjà à une certaine perspective, où il n’était plus obligé de suivre les faits au jour le jour dans l’enchaînement qui les produit, où il pouvait trier en quelque sorte les événemens, mettre les uns en relief et laisser les autres dans l’obscurité. Aussi ce discours ressemble-t-il plus à une grande théorie politique qu’à une discussion pratique commandée par l’action pour aboutir à l’action. Chose curieuse, M. Thiers, comme historien, montre une application scrupuleuse à suivre la liaison des faits, à la comprendre et à en expliquer la nécessité. Cette attention donnée à l’enchaînement nécessaire des faits a servi de prétexte au reproche de fatalisme qui lui était adressé autrefois par M. de Chateaubriand. Dans son discours d’hier, la préoccupation du théoricien l’a emporté sur l’habitude de l’historien. Au lieu de se placer devant les faits, il s’est adossé à sa théorie et ne s’est inquiété que des résultats des événemens qu’il y pouvait raccorder. De là de piquantes contradictions que nous n’avons pas le temps de relever, celle-ci par exemple : M. Thiers combat l’unification de l’Italie et loue la paix de Villafranca. Or l’une a été l’effet immédiat et nécessaire de l’autre. On ne songeait guère en Italie à l’unité avant la paix de Villafranca ; mais cette paix, qui affichait la prétention de rétablir les princes autrichiens renvoyés des duchés et de compenser de princes autrichiens la majorité de la confédération projetée, tua toute idée de fédération, et ne laissa aux premiers citoyens de l’Italie compromis dans les révolutions locales d’autre refuge que l’unité. Il faut avoir vu le désespoir des Piémontais, des Toscans, des Romagnola, à la nouvelle du traité de Villafranca, pour comprendre comment l’idée de l’unité jaillit de la nécessité même. Ah ! si la promesse que l’Italie serait affranchie jusqu’à l’Adriatique avait été remplie, si l’on n’avait point fait cette paix de Villafranca que M. Thiers vante, l’unité de l’Italie, que M. Thiers déplore, n’eût point été tentée, et la fédération, que M. Thiers préfère, eût été établie dans la péninsule. Il n’y a point eu dans l’histoire de la révolution française ou dans l’histoire de Napoléon d’événement empreint d’un caractère de nécessité soudaine aussi manifeste que celui de l’unification italienne déterminé par la paix de Villafranca. La grande difficulté de la question romaine est née sans doute de l’unification italienne : c’est l’entraînement de l’unité qui a produit le choc dont le pouvoir temporel est ébranlé ; mais ici, lorsqu’il réclame le maintien du pouvoir temporel comme un droit de la conscience des catholiques, lorsqu’il fait une espèce de dogme « du principe de l’unité