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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1071

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fut magnifique. L’orateur fut touchant, surtout lorsqu’il parla de la fermeté stoïque montrée par les ouvriers anglais pendant la crise cotonnière et de la constante énergie avec laquelle ces ouvriers, ruinés par la guerre civile américaine, ont résisté aux excitations des partisans du sud, qui les poussaient à faire contre le nord des manifestations populaires. Les classes ouvrières anglaises comprirent que c’était avec le nord qu’était la véritable cause de la liberté démocratique, et ne se laissèrent point entraîner par le désespoir de la misère contre le peuple qui représente le plus glorieusement et le plus énergiquement dans le monde la démocratie organisée. Au reste, M. Bright, qui connaît bien l’esprit américain, a rassuré ses compatriotes contre les craintes que leur inspirait la perspective de la cessation prochaine des hostilités en Amérique. M. Bright ne croit point que les États-Unis, une fois pacifiés, cherchent à se venger des injures qu’ils ont eu à subir de la part de quelques gouvernemens européens. Lord Russell a cru devoir répondre à la chambre des lords au véhément discours de M. Bright. Le secrétaire d’état a démontré que le gouvernement anglais n’avait point fait acte d’hostilité envers les États-Unis en reconnaissant aux confédérés les droits de belligérans, puisque ces droits leur avaient été reconnus dès le début de la guerre par le gouvernement de Washington lui-même. Il résulte cependant du discours de lord Russell que le gouvernement américain se propose de demander à l’Angleterre des réparations pour les dommages causés au gouvernement des États-Unis par les corsaires confédérés construits, équipés, armés dans les ports anglais. Ces réclamations sont ajournées jusqu’à la fin de la guerre ; jusque-là, l’Amérique et l’Angleterre tiennent note de leurs réclamations respectives. Il y aura là ample matière à contestations et un compte difficile à régler lorsque la paix intérieure sera rétablie aux États-Unis.

Un homme qui n’avait pas déserté, lui non plus, la démocratie américaine dans sa détresse, M. Richard Cobden, est mort bien prématurément, à la veille d’un triomphe dont il n’avait jamais douté. La mort a placé dans tout son lustre, devant son pays et devant le monde, la grande et honnête figure de Richard Cobden. On ne pouvait pas s’attendre à voir disparaître de la scène politique un homme qui y avait rempli un si grand rôle, et qui semblait y devoir tenir longtemps encore une si grande place. Parmi les hommes illustres de notre époque, il n’en est point qui aient eu une carrière aussi digne d’envie que celle de M. Cobden, car sa gloire a été exclusivement celle d’un bienfaiteur désintéressé de l’humanité. M. Cobden a eu le bonheur de conquérir pour les classes pauvres de son pays le pain à bon marché, la subsistance à son prix naturel, tel qu’il résulte des conditions commerciales. Le mérite de M. Cobden a été grand sans doute, mais il faut convenir que la situation particulière de l’Angleterre rendit sa tâche d’émancipateur commercial plus facile qu’elle n’eût pu l’être dans aucun autre pays. En effet, en Angleterre, la classe protectioniste par excellence, celle des propriétaires fonciers, qui profitaient du renchérissement