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très bons esprits, M. Lowe entre autres, qui a pris dans la chambre des communes une position considérable depuis qu’il a quitté un poste secondaire qu’il occupait dans le cabinet, se sont élevés contre cette dépense. Suivant eux, c’est perdre de l’argent que de l’employer à créer au Canada un système de fortifications : leur opinion est que, si le Canada était jamais attaqué par les États-Unis, il serait impossible à l’Angleterre de le défendre. Avec les masses d’hommes dont les États-Unis pourraient disposer, l’Angleterre serait impuissante à repousser une invasion ; elle perdrait dans ce conflit ses possessions continentales, et ne trouverait qu’une stérile revanche dans le bombardement et l’incendie des ports américains par ses vaisseaux cuirassés. Cette délibération sur les fortifications canadiennes a fourni aux hommes d’état anglais l’occasion de revenir à des sentimens plus équitables et plus politiques envers les États-Unis. Les derniers succès des fédéraux semblent avoir averti les Anglais de la faute qu’ils ont commise depuis l’explosion de la guerre civile en montrant une partialité si injuste pour la cause du sud. Quelques-uns des principaux ministres, M. Gladstone, lord Russell, ont commis de véritables étourderies au commencement de la guerre civile. « Le nord, déclara un jour lord Russell, combat pour l’empire, et le sud pour l’indépendance. » M. Gladstone, avec sa vive imagination, s’était mis à professer pour les chefs du sud une admiration enthousiaste, et saluait bruyamment dans M. Jefferson Davis le fondateur d’une nouvelle nation. Deux hommes d’état s’étaient abstenus de ce décevant enthousiasme : c’étaient sir George Cornewall Lewis de regrettable mémoire, celui dans lequel on se plaisait à voir le futur chef du parti libéral, le successeur désigné de lord Palmerston, et M. Disraeli. Sir George Lewis, esprit impartial et sensé par excellence, contint tant qu’il vécut ses impétueux collègues, et passe pour avoir empêché le cabinet anglais de prendre à l’égard des États-Unis des mesures inconsidérées. Quant à M. Disraeli, son mérite a été de résister aux entraînemens de son propre parti et de comprendre que la robuste démocratie américaine n’était point aussi près d’une dissolution que le supposaient les absolutistes et les vaniteux aristocrates d’Europe. Cette séance de la chambre des communes où fut présenté le projet des fortifications canadiennes fournit à MM. Forster et Bright l’occasion de prononcer de mâles discours qui iront effacer certainement en Amérique le fâcheux effet des manifestations hostiles à la cause du nord qui ont été prodiguées en Angleterre depuis quatre ans. M. Forster, esprit ouvert, orateur vigoureux, est l’un des chefs les plus autorisés du parti radical ; M. Bright, depuis que la guerre civile a éclaté aux États-Unis, a consacré les plus beaux efforts de son éloquence à redresser les erreurs et les préjugés de ses compatriotes contre la cause fédérale. Le soir où l’on discuta les fortifications canadiennes, les nouvelles qui annonçaient les succès décisifs de Sherman étaient arrivées, et M. Bright put parler des affaires américaines avec un accent de triomphe. Sa harangue