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provinces. La colonie de Yokohama, où domine l’élément anglais, compte de nombreux amateurs de sport qui poussent souvent de ce côté leurs promenades. Plusieurs fois ils avaient rencontré les fastueuses escortes des princes indigènes sans se soumettre à l’étiquette nationale et aux ordres des coureurs qui précèdent les cortèges pour inviter le peuple à se prosterner ; mais jusqu’alors les officiers japonais s’étaient bornés à les menacer du regard ou de la voix. Le 14 septembre 1862, un négociant anglais, M. Richardson, était sorti de la ville avec trois autres personnes pour faire une promenade à cheval du côté de Yédo. À onze heures du matin, ils rencontrèrent un cortège venant de la capitale : c’était celui du prince Shimadzo-Sabouro, père du daïmio de Satzouma. Ils se rangèrent sur les bas-côtés de la route, et continuèrent d’aller au pas sans être inquiétés jusqu’au moment où apparut le norimon (palanquin) du prince. À cet instant, les gardes, armés de sabres et de lances, se mirent devant eux, leur intimèrent l’ordre de rebrousser chemin, et, avant qu’ils eussent tourné bride, se jetèrent sur eux en dégainant. M. Richardson tomba mutilé, et ses trois compagnons, dont deux furent gravement blessés, n’eurent que le temps de s’échapper au galop de leurs chevaux du côté de Kanagava. Le cortège jeta le cadavre de M. Richardson dans un champ voisin, et continua sa route pour aller coucher trois lieues plus loin.

À la nouvelle de cet odieux attentat[1], toute la population étrangère de Yokohama fut en émoi. Les résidens, assemblés aussitôt en un meeting auquel assistaient des consuls et même des chefs de légation, proposèrent de réunir les troupes présentes dans la ville et à bord des navires de guerre et de les envoyer attaquer, à la tombée de la nuit, le cortège du prince dispersé dans les auberges du Tokaïdo. Le ministre d’Angleterre arrêta cet élan de juste indignation, alléguant des considérations de prudence, le peu de forces dont on disposait et les graves conséquences que ce coup de main pourrait entraîner. Le daïmio, prévenu vers huit heures du soir par le gouverneur de Yokohama des intentions hostiles des

  1. Quelque temps après se produisit un autre symptôme de la malveillance du gouvernement japonais Après l’abandon de Yédo par les ministres étrangers, il avait été convenu avec le taïkoun que de nouvelles résidences leur seraient préparées sur le Gotten-yama, hauteur située dans la partie sud de la ville, et qui en commande les abords par le Tokaïdo. Déjà l’une de ces résidences, celle de la légation anglaise, était prête quand des avances furent faites aux représentans étrangers pour les décider à choisir un autre emplacement dans Yédo ; les ministres tinrent bon. Les derniers pourparlers avaient eu lieu a la fin de janvier 1863 ; le 1er février, la légation britannique était la proie des flammes ; l’incendie avait été allumé sur un grand nombre de points, et des détonations de poudre avaient retenti à plusieurs reprises. Le gouvernement de Yédo mit l’événement sur le compte des agens du parti hostile ; mais les circonstances dans lesquelles le sinistre avait eu lieu accusaient au moins sa complicité : par cet incendie opportun, il était arrivé une fois de plus à son but, la non-exécution des traités.