Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croisant dans ces parages n’auraient pas osé s’attaquer à un bâtiment de guerre. Cet espoir fut trompé. Le paquebot l’Hellespont, arrivant le 15 à Yokohama, apporta de Nagasaki une fâcheuse nouvelle. Le Kienchan avait paru le 8 au matin dans le détroit de Simonoseki, et avait été assailli par le feu des batteries de la rive nord, appartenant au prince de Nagato, et par celui de deux de ses navires. Il avait échappé à grand’peine à cette furieuse attaque, et, sorti du détroit, avait continué sa route sur Nagasaki. M. Lafon, le capitaine du Kienchan, ayant rencontré dans les passes de cette rade la corvette hollandaise la Méduse, en marche pour Yokohama, lui avait confié son rapport détaillé sur l’événement ; puis il avait remis la lettre du prince Sakaï au gouverneur de Nagasaki et s’était hâté de cingler vers la Chine.

Il était donc bien établi qu’un de ces grands daïmios à demi indépendans avait, au mépris de la paix, assailli par surprise un navire portant le pavillon français, et, ce qui rendait encore l’attentat plus grave, un bâtiment de guerre, représentation tout à fait directe de la nation dont les mâts arborent les couleurs. Aussi l’amiral Jaurès résolut-il immédiatement d’aller infliger sur les lieux mêmes une punition exemplaire au seigneur de Simonoseki. Avis en fut donné au gorodjo, et quelques heures après l’arrivée de la nouvelle l’aviso le Tancrède reçut l’ordre d’appareiller et prit la route du large. Il devait servir d’avant-garde et sonder les passes peu profondes de la Mer-Intérieure. Le même jour, la Sémiramis, avec laquelle il avait rendez-vous dans le canal de Boungo, se mit en route, ayant à son bord une compagnie du 3e bataillon d’Afrique. Les deux corvettes le Monge et le Dupleix restaient sur la rade de Yokohama pour veiller à la sécurité de la ville. Quant à l’amiral Kuper, qui se disposait à cingler avec son escadre sur Kagosima, il prônait d’attendre, pour partir, le retour de la Sémiramis, et offrit même à l’amiral le concours d’une canonnière. Cette offre ne fut pas acceptée, car il s’agissait uniquement, jusqu’à nouvel ordre, de venger une insulte faite au pavillon, et non de prévenir par une opération collective, telle que l’occupation du détroit, le retour d’agressions semblables.

Le 16 juillet 1863 au matin, nous appareillons par une pluie battante, nous passons le détroit d’Ouraga et gagnons le large. Une mer très houleuse et le vent contraire ralentissaient notre marche. Dans l’après-midi, l’on signale la corvette la Méduse et l’on tourne aussitôt le cap sur ce bâtiment. Vers cinq heures, les deux navires sont en panne ; une baleinière est mise à la mer, et malgré la houle l’on accoste un moment la Méduse sous le vent. Le commandant de la corvette nous confie deux rapports, l’un du capitaine du Kienchan, l’autre de M. de Graeff van Polsbroeck, consul-général des