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Pendant que les officiers masters des bâtimens étaient envoyés de tous côtés dans la baie pour faire des sondages, plusieurs chefs japonais arrivèrent à bord de l’Euryalus et s’enquirent du but de l’expédition. Leur extérieur était empreint d’une certaine dignité dédaigneuse, bien différente de la courtoisie qui distingue généralement les fonctionnaires du taïkoun. Informés sommairement de la mission que venait remplir le représentant de l’Angleterre, ces officiers déclarèrent que le daïmio habitait son château de Kirisimi, à vingt ris (18 kilomètres) de Kagosima, et reçurent la sommation du colonel Neal en promettant une réponse dans les vingt-quatre heures. La lettre du ministre anglais rappelait au prince de Satzouma les circonstances de l’attentat commis par les gens de la suite de Shimadzo-Sabouro sur le Tokaïdo et la mansuétude dont avaient fait preuve les autorités anglaises en cette occasion. C’était sur l’ordre précis du gouvernement de la Grande-Bretagne que la présente demande de réparations était adressée au daïmio. La lettre ajoutait que le gouvernement du taïkoun avait accordé les satisfactions exigées ; mais comme il s’était déclaré impuissant à se faire obéir par le seigneur de Satzouma, le ministre de l’Angleterre avait pris le parti de réclamer directement de ce prince le jugement des meurtriers de M. Richardson et l’indemnité de 25,000 livres pour la famille de la victime. Le colonel Neal déclarait en terminant que le commandant des forces militaires avait ordre, en cas de refus, d’employer les dernières mesures de rigueur.

Le 13 au matin, l’on put remarquer dans la ville une recrudescence de préparatifs belliqueux : de nombreux corps de troupes se massaient dans les batteries ; les canons, formant un total de soixante à quatre-vingts bouches à feu, étaient pointés sur la division ; cinq grandes jonques des îles Loutcheou[1], qui se trouvaient dans la ligne de tir, étaient remorquées jusqu’au-delà des forts. Des officiers japonais abordèrent à plusieurs reprises le bâtiment amiral, annonçant le prochain envoi d’une réponse de leur maître et insistant pour que les autorités anglaises voulussent bien se rendre à terre, où un local serait disposé pour les conférences. Cette offre fut formellement déclinée ; de plus, en présence des dispositions prises par les Japonais, l’amiral Kuper, considérant qu’il lui serait presque impossible, en cas d’attaque, de s’embosser au mouillage qu’il occupait et de répondre efficacement au feu des batteries, donna l’ordre à ses bâtimens de se mettre sous vapeur et de se préparer à l’appareillage. Le terme assigné pour la réponse était expiré depuis plusieurs heures quand un officier de

  1. Les îles Loutcheou, situées entre le Japon et l’Ile Formose, appartiennent au prince de Satzouma ; par leurs richesses, elles forment une des principales sources des revenus de ce prince.