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Timide et circonspect au début, il a aujourd’hui la voix haute, sent de quel poids il pèse dans ce qui s’agite, et survivra aux événemens. Si ce n’est pas un maître, c’est du moins un surveillant. Pour le conseil comme pour l’action, il faudra, quoi qu’il arrive, compter avec lui.

S’il ne s’agissait, dans une négociation, que de souscrire à quelques ménagemens de forme, le concert serait bientôt rétabli entre les contendans. Ils ont, dans le plus vif de leur différend, conservé les uns pour les autres une estime qui rend les égards faciles. Aucun des partis ne veut abuser de la victoire, ni en pousser le bénéfice au-delà des points litigieux. Il paraît entendu que, si l’Union parvient à se reconstituer, l’oubli complet du passé sera la première clause du pacte à intervenir, qu’aucune recherche ne pourra être exercée ni contre les personnes ni contre les biens, et que les états un instant détachés rentreront dans leurs anciens droits sous la seule exception des droits particuliers qui ont motivé la prise d’armes. Il en serait de même, assure-t-on, des dettes respectives, qui seraient confondues dans la dette publique sans distinction d’origine. Rien de plus sensé ni de plus politique. Ce long duel laissera dans les cœurs des blessures qu’il ne serait pas prudent d’envenimer, et le grand souci des pouvoirs constitués, si l’intégrité des états se reforme, devra être d’effacer jusqu’aux traces de la querelle. Voilà des détails sur lesquels la disposition des esprits rend une entente possible ; mais ce ne sont que des points secondaires. Il en est d’autres plus essentiels et si irritans qu’à peine ose-t-on en parler quand on s’abouche. C’est d’un côté le partage de la prépondérance politique, de l’autre les termes dans lesquels sera réglée l’émancipation des esclaves.

Avant la scission, les hommes du sud avaient su arranger les choses de telle façon que le gouvernement de l’Union leur était échu pour la plus grande part. On a calculé que dans le cours de soixante-douze années et sur dix-huit élections les suffrages populaires avaient porté à la présidence douze hommes du sud contre six hommes du nord. Ce fait était même devenu une théorie. Il paraissait admis que les hommes du sud, par la nature de leurs occupations et à raison des loisirs que leur laissait l’administration de leurs domaines, étaient plus que les hommes, du nord préparés aux habitudes du commandement. L’activité du nord, plus directe et plus personnelle, absorbait l’individu ; celle du sud, presque toujours indirecte et s’exerçant par délégation, dégageait mieux la personne et la désignait d’une manière plus naturelle pour diriger les services du gouvernement. Aussi était-ce dans le sud que les fonctions publiques, par voie d’affinité, recrutaient le plus ordinairement