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leurs agens. Il était dans la force des choses que le président, maître de l’investiture, préférât des hommes à sa main, unis à lui par une communauté d’origine et de sentimens. De là cette singulière distribution des rôles qu’avec une entière liberté de suffrages la puissance publique appartenait de fait et presque irrésistiblement à la minorité. Dans la cour suprême, cinq juges sur neuf provenaient des états à esclaves. Les mêmes proportions, avec quelques alternatives, se retrouvaient dans les postes de secrétaire d’état, de ministres plénipotentiaires, dans les présidences des chambres, dans les offices supérieurs de la magistrature, dans les grades militaires. Le sud était partout présent, comme une sorte de chevalerie qui, par l’effet d’un plein consentement, s’imposait au nord, moins soucieux des honneurs que des affaires, et qui trouvait dans les cultures, l’industrie et le négoce un emploi plus fructueux de son temps. Qu’est-il résulté de cette confiance imprévoyante ? Les événemens l’ont montré : c’est une faute que le nord ne commettra plus. Voilà ce que sentent les hommes du sud et ce qui les rend si peu maniables. S’ils rentrent dans l’Union, ce ne sera ni au même titre, ni dans les mêmes conditions qu’autrefois. Ils ont perdu un empire que le nombre ne leur rendra jamais, et qu’aucune habileté de conduite ne pourra leur faire recouvrer. On oubliera qu’ils sont des vaincus ; malgré tout, ils resteront suspects. Ce sera pour longtemps une déchéance politique ; du moins l’envisagent-ils ainsi, et l’idée en répugne à des hommes qui ont si souvent commandé.

Admettons que cet orgueil cède et qu’ils se résignent à la perte de leurs prérogatives, ce n’est que la moitié des sacrifices à prévoir. Leur fortune est également menacée : elle avait l’esclavage pour fondement, et avec l’émancipation l’économie du travail agricole est à reconstruire. Comment un peuple calculateur a-t-il pu se tromper à ce point dans une question d’intérêts ? Voici une guerre civile qui a déjà coûté au nord 6 milliards et au sud 4 milliards probablement, en tout 10 milliards. Qu’on y ajoute l’abandon d’une partie des plantations, le désarmement de la marine marchande, les pertes infligées par la course, la dépréciation des valeurs, la rupture des relations régulières, ce sera 15 milliards au moins de prélevés sur la richesse commune. 15 milliards pour aboutir à des hécatombes et à des ruines ! Avec la cinquième partie de cette somme, on eût amplement payé la rançon des trois millions de nègres qui, au fond et quoi qu’on ait pu dire, ont été la cause et l’objet de cette dilapidation. L’argent est englouti aujourd’hui sans que la rançon ait été payée ; elle reste à débattre. C’est dans cette liquidation de la servitude que se rencontreront