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régulière et abondante des meilleurs cotons que la manufacture ait jamais employés, c’est du travail assuré pour les ouvriers, longtemps éprouvés par le régime de l’intermittence, c’est la force et la sécurité rendues à une industrie qui, dans la disette de bonnes matières et le l’enchérissement des plus mauvaises, marchait à sa décadence. Comment ne pas s’applaudir d’un acte qui amènerait à sa suite de tels bienfaits ? On y applaudirait en effet, et par un élan unanime, s’il n’y avait là un incident à vider. Cet incident est la liquidation des prix de guerre et des folies que l’esprit de spéculation y est venu ajouter. Il faut maintenant dresser l’inventaire des dommages que ce vertige nous coûtera, et devant la balance des chiffres on s’explique comment un dénoûment survenu à l’improviste rencontrerait peu d’enthousiasme. Les prix de départ, comme on l’a vu, étaient de 50 à 55 centimes le demi-kilo pour les qualités courantes du coton américain. Successivement, et par les poussées du jeu plus encore que par la rareté, ces prix ont été portés à 2 fr., 3 fr. et 3 fr. 50 cent., à peu près le septuple. En même temps des cotons inférieurs, comme ceux de la Turquie et des Indes orientales, sont arrivés à 2 francs 20 cent., 2 francs, 1 franc 80 cent. On payait sur ce pied des matières qu’en d’autres temps on eût mises au rebut, chargées d’impuretés et de corps étrangers, d’un brin rude et court, qu’il fallait soumettre à un traitement particulier. Ces prix, à quelques fluctuations près, se sont maintenus et font encore loi sur le marché ; le même jeu qui les a créés les anime et les soutient. C’est cet artifice savant que la paix menace et peut anéantir en un jour. Supposons-la signée, comme tôt ou tard elle le sera ; supposons encore que les cours d’autrefois soient remis en vigueur. La dépréciation, calculée au plus bas, serait des quatre cinquièmes. Ce n’est pas outrer les choses que de la faire porter sur 1 milliard au moins, en y comprenant, comme il est exact de le faire, les existences en mer et dans les entrepôts, les dépôts dans les fabriques, les produits répartis dans le commerce intermédiaire et les magasins de détail. Dans ces termes, la perte à dégager n’est plus qu’un calcul élémentaire. Sur le milliard, ce serait 800 millions d’emportés, triste liquidation qui causerait bien des sinistres.

Il est vrai que dans ce calcul les choses sont mises au pire, et qu’il y a des motifs de croire que la dépréciation s’opérera par degrés et n’éclatera pas comme un coup de foudre. La marche pourra en être modifiée par deux circonstances qui, suivant le cours qu’elles prendront, agiront dans un sens ou dans l’autre sur l’état du marché et les mouvemens des mercuriales. La première est l’importance des dépôts qui, dans le cours de la guerre et depuis