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que les ports du sud ont été fermés, se sont accumulés dans les mains des planteurs américains. La seconde est la différence qui se produira dans les prix de culture par la substitution du travail libre au travail servile, quand l’esclavage aura été aboli.

Sur l’importance des dépôts, les renseignemens sont confus et contradictoires ; on n’a que des approximations. Le sud, depuis qu’il est en révolte, a cherché à s’entourer de fables et de mystères. Ainsi il n’est nullement à croire qu’il ait, par des incendies volontaires, travaillé à sa propre ruine. C’est au moyen de son coton, si peu qu’il en ait écoulé, qu’il a soutenu ses finances, armé ses soldats, équipé ses corsaires. Malgré tout, il doit lui en rester des quantités considérables. Dans l’année qui a précédé la rupture, il en avait récolté 4,700,000 balles, dont une partie a été retenue par la rigueur des blocus. La disette des denrées alimentaires l’a obligé, il est vrai, de modifier ses exploitations, et une partie de ses ressources a passé dans les charges de la défense. Tout cela doit entrer en ligne de compte, sans infirmer pourtant ce fait, qu’une forte réserve existe encore sur les lieux. Quelques circulaires commerciales estiment cette réserve à 1,500,000 balles ; c’est un chiffre trop réduit. Fût-il exact, ce serait encore pour nos marchés d’Europe une rude épreuve, si ces 1,500,000 balles y étaient versées sans ménagement. Des deux parts il faudra y apporter de la prudence, mesurer les expéditions sur les besoins, se garder de tout ce qui pourrait amener des débâcles. Le sud y serait directement intéressé ; il n’avilirait les prix qu’à son propre préjudice.

Une incertitude tout aussi grande plane sur les conséquences qu’aurait sur les cultures la substitution du travail libre au travail servile. Comme moyen d’appréciation, on n’a guère que les expériences accomplies ailleurs et qui n’ont pas toujours été heureuses, ni concluantes pour l’économie de la production. Il n’est pas sans intérêt de voir ce que deviendra une émancipation dans les mains des Américains du Nord. La conduite des esclaves dans un pays en armes et au milieu de l’agitation qui y règne témoigne que les maîtres ont là-bas des procédés particuliers pour s’emparer des volontés et maintenir l’obéissance. Nul doute qu’ils n’en trouvent d’aussi efficaces sous un régime d’affranchissement. Les deux races, dans cette région, se balancent par le nombre, et l’activité de l’une aura facilement raison de l’indolence de l’autre. C’est une combinaison à imaginer, et là-dessus le génie américain n’est jamais à court. Par les formes du salaire et l’appât du gain, on trouvera des garanties contre l’abandon des cultures. Là où les bras seraient insuffisans, les machines y suppléeraient ; en aucun cas, le planteur ne laisserait se convertir en lande le domaine que ses soins ont rendu