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Une dernière question se pose ici d’elle-même, c’est de savoir si, après avoir recouvré l’entière disposition de ses forces, ce peuple ne se sentira pas emporté vers le goût des représailles. De toutes les conjectures, c’est la plus difficile à tirer. Il est à présumer qu’après avoir vidé leur querelle, les belligérans seront tentés de sceller leur accord en agissant en commun et en portant leurs défis ailleurs : l’esprit militaire, une fois éveillé, n’abandonne point aisément la partie, et il est dans sa nature d’être toujours en quête d’alimens ; mais ici, qu’on le remarque, on a affaire à un gouvernement sensé, qui, en ayant recours à la justice des armes, s’est arrangé de manière à demeurer l’arbitre de ses destinées et à ne pas se donner un maître. La paix conclue, il gardera ce qu’il a soigneusement maintenu, la liberté de ses déterminations. Tout lui conseille d’en user dans l’intérêt de son repos et du rétablissement de ses finances. De ses armées dissoutes peut-être sortira-t-il des corps de partisans qui s’engageront dans des aventures sur lesquelles le pouvoir fédéral, comme de coutume, fermera les yeux. Les représailles n’iront pas plus loin et ne prendront d’abord que cette forme. L’Union n’engagera de son plein mouvement ni sa politique ni son drapeau ; elle pansera ses blessures, réparera ses ruines, rendra à sa marine et à son commerce l’activité que la guerre avait suspendue. L’influence morale attachée à sa reconstitution suffirait pour changer ses rapports de voisinage et y amener des retours imprévus. L’Union n’agira ouvertement que si on la provoque, et dans la plénitude de ses moyens d’action il serait imprudent et dangereux de la provoquer.

Ces probabilités sont du domaine de l’avenir, qui seul en vérifiera ou en infirmera la justesse. Le présent est moins incertain, et on peut en parler à coup sûr. Il est démontré que la paix ne peut désormais sortir que d’un nouveau choc des armes. L’Union n’est pas encore assez forte pour l’imposer, la confédération ne se sent pas assez faible pour la subir. La condescendance de M. Lincoln à se prêter à une entrevue aura eu du moins ce bon résultat de dissiper les équivoques. Aucune des subtilités des envoyés de Richmond n’a pu tenir devant la netteté et la fermeté de son langage. Ils demandaient une suspension d’hostilités : il a répondu, en Romain, que le différend devait se vider en quelques heures, et sans quitter le pont du paquebot. Ils lui proposaient une alliance morale pour rétablir contre les puissances conjurées l’autorité et l’influence du nom américain : il a répondu qu’il n’y avait pas d’alliance à discuter hors de la rentrée dans l’Union des états qui bravaient ses lois. Il a ajouté que, pour les conditions de cette rentrée, la république se montrerait aussi généreuse qu’elle s’était montrée résolue dans la reconstitution de son unité. À toutes les instances,