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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/214

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Né en 1613, d’une des bonnes familles de Normandie, il fit ses études au collège de Clermont, puis au collège d’Harcourt, et eut pour professeur de rhétorique le père Canaye, auquel il prêta plus tard cette conversation si plaisante avec le maréchal d’Hocquincourt ; mais ce n’est point là que s’acheva son éducation. Un esprit fait pour le monde ne devait prendre que dans le monde ses habitudes, son éclat et son tour particulier. Il était de ceux pour lesquels cette seconde éducation est la meilleure, et qui ont besoin de l’excitation du dehors. Le monde n’éteint pas leurs facultés, il les découvre ; il ne triomphe en eux que de leur paresse, en leur fournissant des occasions de voir, de penser et de juger qu’ils n’auraient peut-être pas cherchées. Une supériorité naturelle, le goût de la louange et du succès, font le reste. Des conversations faciles et variées leur donnent cette science, qui ne sent pas l’école, qui n’est pas la science véritable, mais sans laquelle la science risquerait de déplaire. Des amitiés puissantes et diverses leur assurent une position qui ne tient à rien et qui touche à tout. C’est de cette éducation que naît l’honnête homme du XVIIe siècle, un homme qui, sans diriger les affaires, a de l’influence, qui, sans parcourir une carrière, a fait son chemin, qui ne se croit ni un historien, ni un poète, ni un philosophe, pour avoir écrit des considérations sur le génie du peuple romain, composé quelques comédies et disserté sur la religion, qui est un peu tout cela cependant, avec légèreté souvent, avec un mérite sérieux quelquefois, mais toujours avec mesure. C’est vers cette éducation, dont les résultats sont d’abord insensibles, mais qui sait étendre et mûrir des esprits assez forts pour ne s’y perdre pas, que Saint-Evremond se vit aussitôt entraîné par le tour de son génie. Célèbre, pendant qu’il faisait ses premières études de droit, par son assiduité dans les salles d’escrime, il abandonna la jurisprudence pour le métier des armes, fit à seize ans ses premières campagnes, et ne se distingua pas moins au milieu des camps par le goût des choses de l’esprit qu’il ne l’avait fait à l’école par cette botte que ses camarades appelaient la botte de Saint-Évremond. C’est ainsi que, dans les milieux les plus divers, il gardait son originalité, et par une certaine partie de lui-même restait en dehors de l’heure et du métier. Son habileté aux armes l’avait sans doute fait admirer par ses camarades de l’école ; son goût pour l’étude, les livres sérieux qu’il emportait au milieu des camps, le distinguèrent de même à l’armée. Les généraux les plus illustres, Turenne, d’Estrées, de Grammont, le comte de Miossens, qui fut depuis le maréchal d’Albret, se prirent d’amitié pour le jeune enseigne, qui joignait au courage commun à nos soldats un esprit plein de saillies et d’entrain. La guerre n’était point alors ce