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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/228

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qui conviennent à l’homme en face de la mort quand la religion ne lui en inspire pas d’autres, et qu’il est abandonné à ses propres forces. « Que d’autres, dit-il, cherchent à louer les morts fastueuses de ceux qui entrent dans la destruction avec insensibilité, c’est le sort de tous les animaux. Nous ne mourons comme eux avec indifférence que quand l’âge ou la maladie nous rendent semblables à eux par la stupidité de nos organes. Quiconque fait une grande perte a de grands regrets ; s’il les étouffe, c’est qu’il porte la vanité jusque dans les bras de la mort. »

Cependant la santé de Saint-Évremond s’était affaiblie. Les médecins lui conseillèrent de quitter l’Angleterre. Il partit pour la Hollande et s’établit à La Haye. Il se loue, dans une lettre au marquis de Créquy, d’échapper à la contrainte des cours, et d’achever sa vie dans la liberté d’une république où, « s’il n’y a rien à espérer, il n’y a du moins rien à craindre. » Ce sont là de fières paroles, elles ne se soutiennent pas longtemps. Il a plus besoin que personne de ces sortes de conversations qu’on ne trouvait alors que dans les cours. Partout ailleurs il lui manque quelque chose. Aussi n’a-t-il vécu qu’à demi pendant ces quatre années de séjour à La Haye. C’est en vain qu’il envoie au savant Vossius des observations sur Salluste et sur Tacite, c’est en vain qu’il compose un portrait idéal de la femme qui ne se trouve point : la tristesse le gagne, il a peur de s’appesantir, et la gravité des bourgmestres l’engourdit. C’est à peine si l’on se sent la force de blâmer ce découragement. Saint-Évremond était si bien fait pour aimer la société spirituelle et joyeuse où s’étaient écoulées les plus belles années de sa vie, qu’il éprouve une sorte de malaise au milieu d’un peuple froid et méthodique, dont toutes les vertus manquent de vivacité, et qui fit de grandes choses sans éclat. « Il faut, dit-il, se repaître de police, d’ordre et d’économie, et se faire un amusement languissant à considérer des vertus hollandaises peu animées… Je crois que La Haye est le vrai pays de l’indolence. Je ne sais comme j’ai ranimé mes sentimens ; mais enfin il m’a pris envie de sentir quelque chose de plus vif, et quelque imagination de retourner en France m’avait fait rechercher Londres comme un milieu entre les courtisans français et les bourgmestres de Hollande. » Mais, avant de quitter un pays qui lui convenait si peu, il fit un effort pour revoir Paris, où le plaisir et les études sont si habilement ménagés que l’esprit y trouve à la fois l’activité et le repos, également nécessaires aux épicuriens de la littérature. Il écrivit donc à M. de Lionne une lettre qui devait être montrée à Louis XIV. On comprend quels sentimens la dictaient, et cependant les louanges adressées au roi paraîtront excessives. « Comme le blâme de ceux qui nous sont opposés fait la