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armées il a pu apprendre comment se gagnent les grandes batailles. L’intérêt du sujet primitif est redoublé dans ce cas par l’impression qu’en ressent un historien de cette nature. L’histoire sous une telle main prend le caractère d’une révélation, d’un témoignage, d’une sorte de confidence. Rien donc de plus naturel que la vive et curieuse impatience avec laquelle était attendue l’histoire de Jules César par Napoléon III.

Nous sommes à la veille du jour où la curiosité générale va être enfin satisfaite, et quant à nous, nous ne connaissons encore que la préface de l’œuvre impériale. Déjà ces premières pages nous peuvent donner une idée des graves controverses que cette œuvre est de nature à soulever. Quand l’empereur parle de la consciencieuse exactitude que l’on doit apporter dans la composition de l’histoire, quand il rappelle que la logique est le meilleur guide qui nous puisse conduire à la vérité, lorsque, faisant appel aux parties élevées de l’Intelligence humaine, il demande que les grands événemens ne soient point expliqués par les petites causes, que l’on n’aille point chercher dans les sentimens médiocres les mobiles de la conduite des grands hommes, tout le monde, à notre époque, sera de son avis. Suétone, ni même le charmant Plutarque, ne sont plus les modèles des historiens de notre temps ; c’est bien plutôt par les défauts contraires que nous péchons, et nous ne sommes que trop enclins à subordonner dans-nos conceptions historiques l’élément accidentel et individuel à l’influence des mouvemens généraux et à ce que Montesquieu appelait l’allure principale. Les dissentimens, et des dissentimens appuyés sur d’énergiques convictions morales et justifiés par la conception vraiment scientifique et esthétique de l’histoire, s’élèveront à propos de la suprématie surhumaine et presque religieuse que l’empereur invoque pour les grands hommes. Cette sorte de religiosité politique, ce culte des héros, ce hero-worship, comme dirait Carlyle, est le trait saillant de la préface, et nous indique de quel côté se porteront les polémiques dont l’œuvre impériale donnera le signal.

Nous ferons hardiment notre confession : cette religiosité politique et l’adoration des grands hommes rencontrent en nous des protestans résolus, des incrédules déterminés. En aucun temps, en aucun pays, nous ne consentirons à faire après coup des vrais grands hommes de l’histoire des demi-dieux imposés à l’obéissance superstitieuse des peuples. Nous ne sommes pas du parti des Mahomets. En élevant l’histoire à la hauteur d’une religion et d’une religion autoritaire, qui aurait dans les grands hommes des organes infaillibles, l’empereur n’a-t-il pas craint de commettre un anachronisme ? N’est-ce pas dans une direction opposée que vont les tendances de notre siècle ? On veut bannir le surnaturel de l’ordre religieux, est-il possible de l’introduire ainsi dans l’ordre politique ? On applique avec excès, suivant nous, à l’étude des religions les sévères méthodes de la critique historique, est-ce le moment d’apporter les illusions