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l’histoire en hommes d’état et en savans. Nous lui demandons les grands enseignemens politiques ; pour reconstruire le passé, nous obéissons aux exigences de l’érudition la plus exacte, nous suivons les conseils de la critique la plus rigoureuse, et nous nous livrons avec une curiosité passionnée aux investigations les plus patientes. Une vie de César peut donc être à notre époque un monument scientifique, et devenir l’objet d’une étude politique vaste et belle.

Si l’auteur d’une vie de César est le chef d’un des grands états du monde, on conviendra que son œuvre doit facilement réunir le double intérêt et le double mérite qui dérivent de l’érudition et de la politique. Que de ressources font défaut au savant ordinaire ! Combien il est difficile à l’érudit isolé, même après qu’il s’est rendu compte des lacunes de son sujet et qu’il a pressenti où il trouvera la solution de ses doutes, de se procurer et de rassembler les documens qui peuvent épuiser une controverse, éclaircir un point obscur et replacer dans son vrai jour un événement ou une figure historique ! Il est évident qu’en s’intéressant à l’histoire de César, en cultivant son goût dans la mesure, de sa puissance, l’empereur s’est trouvé en position de rendre à l’érudition et à la critique historique les services les plus divers et les plus délicats. Un souverain épris d’une question archéologique vaut à lui seul pour cette question toute une académie des inscriptions et belles-lettres. L’empereur a pu s’entretenir avec les hommes spéciaux de tous les points curieux et difficiles de son sujet ; il a pu interroger Mommsen ; il n’est pas de texte qui ait pu échapper à son contrôle, pas de monument dont il n’ait pu étudier le sens, pas d’inscription qu’il n’ait pu faire relever, pas de médaille à laquelle il n’ait pu atteindre. Le nouvel historien de César nous donnera donc, nous y comptons, une œuvre nourrie, variée, complète au point de vue de l’érudition, une œuvre qui devra satisfaire les amateurs et les connaisseurs en matière d’antiquités romaines.

Il sera plus curieux encore de voir juger l’auteur d’une des plus grandes révolutions politiques dont le monde ait été témoin par un chef d’empire qui a lui-même dirigé une barque césarienne à travers des tourmentes révolutionnaires. Le sceptique et grossier sir Robert Walpole méprisait les historiens et l’histoire. « Quand je vois, disait-il, moi qui ai si longtemps gouverné, combien les secrets ressorts des affaires d’état et des événemens demeurent inconnus aux contemporains, quelle foi pourrais-je donner aux récits de pauvres diables d’écrivains qui ont toujours vécu si éloignés des conseils de la politique ? » Walpole eût eu sans doute moins de dédain pour l’histoire d’un empereur écrite par un empereur. Ici l’historien est du métier : il a vu, il a agi. Sa propre expérience a pu lui donner des intuitions lumineuses sur les faits qu’il raconte. Lui aussi, il a manié les hommes, il a fait les événemens, il a eu des initiatives hardies, il a su à ses heures pratiquer la patience et l’audace, il a fait la guerre, et à la tête de grandes