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Guy-Châtel lèvent donc le siège et quittent l’habitation héréditaire de leur famille. Ils vont chercher un asile chez leurs cousins les Penmarch, qui pour le moment sont occupés, le père et le fils, à pêcher à la ligne, et la vieille douairière à admirer dans la personne d’un de ses anciens vassaux, transformé par la discipline militaire en un jeune soldat, propre, gai et vaillant, l’art avec lequel les gouvernemens modernes savent abrutir les populations. Tout se passerait en conséquence le plus tranquillement du monde, si les deux peuples de mœurs différentes qui entourent les deux centres de l’usine et du château ne compliquaient la situation. C’est moins en effet dans les personnages en lutte que dans les populations qui les entourent que M. Feuillet a placé les passions de son drame. L’antagonisme des personnages, comme celui des classes supérieures de notre société, se prolonge non par leur obstination réciproque, mais par l’aveuglement, l’ignorance et les préjugés de ceux qui leur sont respectivement soumis. C’est encore là un des côtés originaux de l’œuvre de M. Feuillet, dont on n’a pas assez remarqué l’importance et auquel on n’a pas assez rendu justice.

Un vieux paysan breton attaché aux Guy-Châtel, se persuadant, dans son ignorance, que George Morel est le spoliateur de ses maîtres, l’attire dans un piège, et va le tuer sans miséricorde, lorsque Mlle de Guy-Châtel se précipite sur la bruyère et se jette devant le fusil de son trop zélé vengeur. Ici se place une scène éloquente et un peu hors de saison. Les deux amans, — donnons-leur ce titre, quoiqu’ils le repoussent et qu’ils résistent jusqu’au dernier moment à s’avouer leur amour, — à peine remis de la terrible alerte qu’ils viennent d’éprouver, engagent, sans perdre de temps, une controverse historique et politique, Mlle Blanche attaquant le présent, M. George Morel maudissant le passé, et invoquant, en témoignage de sa barbarie, les donjons féodaux qui se dressent au loin et les pierres druidiques contre lesquelles ils sont appuyés à ce moment même. Cette scène éloquente et assez belle est interrompue par l’arrivée du marquis de Guy-Châtel, qui, prenant fort mal à propos pour de la violence l’emportement de la verve politique de George Morel, lui reproche d’outrager sa sœur. Sans s’informer de la situation, sans chercher pourquoi sa sœur est venue sur cette bruyère, sans demander à quelles paroles répondent les paroles de George Morel, il lui adresse un cartel des plus malencontreux, et la toile tombe sur ce défi, qui laisse le spectateur en proie à un mécontentement que j’ose trouver assez légitime.

À partir de ce malencontreux défi qui crée une situation des plus équivoques, la pièce marche à son heureux dénoûment à travers toute sorte de malentendus qui se prolongent trop longtemps. Mlle Louise Morel ameute contre le marquis les ouvriers de la manufacture et vient faire le siège de l’humble demeure où le gentilhomme s’est retiré. Le marquis résiste à l’énergie et aux menaces de la jeune lionne ; mais comme il est, paraît-il, dans sa destlnée4 d’être vaincu, et qu’il mérite vraiment d’expier la conduite