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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/360

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Or M. Jouffroy entreprit de démontrer que les sciences philosophiques ne remplissaient aucune de ces conditions, qu’elles étaient restées depuis vingt siècles à l’état vague, incomplet ou faux, que ni l’objet de la philosophie n’était déterminé, ni son cadre tracé, ni sa méthode fixée. Comment sa méthode serait-elle fixée ? On ne s’entend pas sur le mot de philosophie. Voici un mot établi dans la langue, employé et répété tous les jours dans la conversation et dans les livres. Interrogez toutefois cette foule qui emploie si hardiment le mot et même cette foule d’élite qui a si naïvement la prétention de se mêler de la chose, et vous verrez avec étonnement qu’à cette question : quel est l’objet de la philosophie ? il n’y a dans la plupart des esprits aucune réponse ; et que dans les autres il y en a tant, et de si différentes et si contradictoires, qu’il est évident qu’en parlant de cette science ceux mêmes qui s’entendent le mieux ne parlent pas de la même chose. Aussi qu’arrive-t-il ? D’une époque à l’autre, d’une école à l’école voisine, d’un philosophe à un autre philosophe, on voit le cadre des sciences philosophiques se rétrécir ou s’étendre selon l’humeur des temps ou celle des hommes, tantôt embrassant dans son vaste sein tous les problèmes possibles, tantôt se réduisant à n’en contenir que quelques-uns ; puis, envahissant de nouveau le terrain abandonné, reprendre un moment sa première étendue pour se retirer encore ; et n’en occuper plus qu’une partie. N’est-ce pas une preuve assez convaincante que le signe certain, le criterium des questions vraiment philosophiques, ou n’existé pas, ou n’est pas fixé ? Et dès lors, comment la méthode pourrait-elle être déterminée pour l’étude d’un objet que l’on connaît si confusément ?

Cet objet, c’est l’esprit humain, l’esprit étudié dans ses formes constitutives, dans la constance de ses phénomènes, dans la diversité essentielle de ses facultés, dans les faits qui constituent sa vie, dans les données qui composent sa raison, dans les questions que suscitent naturellement les notions inhérentes au fond même de l’âme. M. Jouffroy appliqua tout son effort à l’examen des trois sciences généralement reconnues pour des sciences philosophiques, la psychologie, la logique, la morale, et il montra qu’elles étaient ; étroitement liées, comme le voulait son instinct, comme l’entrer voyait et l’affirmait l’opinion commune ; il affirma que le même résultat pouvait être établi pour la théodicée, et dès lors Indépendance réciproque des sciences philosophiques lui devint manifeste. Toutes ne lui semblèrent être qu’une induction et un prolongement de la psychologie. L’unité, longtemps perdue ou voilée, de l’objet de la philosophie lui apparat dans la plus éclatante lumière. Telle fut la conclusion d’un grand travail intérieur, raconté, je n’ose pas dire résumé, dans le mémoire sur l’Organisation des sciences philosophiques.