Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avec quelle satisfaction touchante et naïve M. Jouffroy contempla le résultat de ses longs efforts ! Avec quelle jouissance d’analyse multipliée et prolongée il nous montra que la diversité infinie des questions philosophiques se rattache à l’esprit humain, pris pour unité, pour commune mesure ! Le signe des questions philosophiques, si laborieusement cherché, est donc enfin trouvé : le criterium de ces questions, c’est que toutes supposent au préalable l’étude de l’âme, que toutes, par des détours plus ou moins longs, viennent se résoudre dans quelques-uns des faits de l’esprit humain. Dès lors, l’unité de l’objet de la philosophie étant établie, la question de la méthode est bien près d’être résolue. Reprenant une distinction célèbre de l’école écossaise, M. Jouffroy sépara, dans l’ordre des sciences philosophiques, l’étude des faits des questions dont la solution doit sortir de ces études. Il loue ses chers Écossais d’avoir arraché la philosophie à la tyrannie des questions, qui la détournaient jusque-là de l’étude des faits, pour la jeter immédiatement dans le champ illimité de la spéculation pure et dans l’obscurité de la métaphysique. Ils ont rendu la philosophie à elle-même, c’est-à-dire à son vrai point de départ et à son but propre, l’esprit humain. Donc l’observation d’abord scrupuleuse, minutieuse même, de l’âme, c’est-à-dire la psychologie expérimentale ; puis l’induction s’efforçant de résoudre les questions ultérieures dont les données sont comprises dans les faits de conscience et dans les idées de raison, qui sont des faits aussi, c’est-à-dire la logique, la morale, la théodicée, l’esthétique, etc., voilà l’unité de l’objet de la philosophie retrouvée, et du même coup le cadre de la science fixé, c’est-à-dire la vue précise des divisions naturelles de l’objet de cette science dans leurs rapports naturels ; en même temps, voilà la méthode déterminée : observation d’abord, induction et raisonnement ensuite. Ordre et développement des sciences philosophiques, rapports de ces sciences entre elles, méthode de chacune d’elles, tout devient clair, logique, et M. Jouffroy n’est pas éloigné de prononcer l’Εὔρηκα d’Archimède.

Illusions sans cesse renaissantes de la science humaine ! Quel philosophe, de Platon à Descartes, d’Aristote à Bacon, de Leibnitz à Kant, n’a pas formé le même rêve ? Tous ont eu leur méthode propre, tous se sont imaginé que la réforme et l’avancement régulier de la philosophie daterait de leur nom. S’il y a eu dans l’œuvre de M. Jouffroy un point qu’il crut avoir établi, c’est dans cette question de la méthode ; mais depuis cette date mémorable la philosophie est-elle rentrée pour toujours dans les limites qu’il lui a fixées ? Est-elle devenue enfin ce qu’elle n’était pas, paraît-il, une science définie, organisée ? Ceux qui s’en occupent sont-ils enfin tombés d’accord sur l’unité de son objet, sur ses divisions, sur sa méthode ?