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mieux que moi ne le reconnaît ; mais où l’erreur commence, c’est à vouloir l’élever au-dessus de lui-même et prétendre voir en lui mon égal. Je le dis et le puis dire, car, après tout, qu’importe ? ce n’est point moi qui me suis fait. Il en serait de même, si je prétendais me comparer à Shakspeare, qui, lui non plus, ne s’est point fait, et pourtant n’en est pas moins une nature qui m’est supérieure et qu’il me faut regarder d’en bas et vénérer. » Rapportons à Mozart la sentence, car nul ne semble plus fait pour qu’on la lui applique, tant sa manière de créer a quelque chose d’ingénu, d’enfantin, de divinement transmis, tant cette nature si profondément sensitive paraît peu se rendre compte des merveilleux trésors dont elle dispose ! Voyez cet œil doux et rond à fleur de tête, cette lèvre voluptueusement épanouie, ce visage aimable où l’expression manque : vous diriez un honnête garçon de la bourgeoisie viennoise, modeste, poli, comme il convient à quelqu’un que les archevêques protègent. Rien de cette élégance, de cette finesse aristocratique d’un Raphaël, l’égal, l’ami des Castiglione, rien non plus de ces ravages volcaniques imprimés sur le front d’un Beethoven. Raphaël vit en grand seigneur avec les grands seigneurs de son temps ; Beethoven, nourri de Rousseau, de Plutarque, sent gronder dans son sein contre une aristocratie dont pourtant il accepte les prévenances toutes les colères de la révolution française. Mozart, en 1781, fut de son époque. Avec la renaissance, les beaux jours s’en étaient allés de ces familiarités illustres ; par contre, ceux de la protestation ne s’étaient pas encore levés. Il fallut les indignes traitemens dont l’accablait l’archevêque de Saltzbourg pour forcer Mozart à quitter la place. Après Idoménée, à la veille des Noces de Figaro, manger à l’office avec la valetaille et s’entendre appeler drôle et polisson par une éminence, c’était aussi trop rude épreuve ! Et pourtant cette atmosphère aristocratique, qu’il avait respirée au début dans les palais de Vienne et de Versailles, ne devait plus cesser de l’entourer. Ses voyages, ses goûts le poussaient vers les hautes régions. On comprend d’ailleurs tout ce qu’une organisation comme la sienne devait retirer de ce commerce avec la bonne compagnie, commerce toujours si profitable au point de vue purement esthétique. Pour se prémunir contre les inconvéniens qui chez tout autre auraient pu résulter de ce contact avec un monde frivole et dépravé, Mozart avait l’instinctive pureté de sa nature, son heureuse ironie et cette vigoureuse santé de l’âme qui fit qu’à travers les mille orages d’une existence en définitive assez dissolue, cet homme, resté chaste jusqu’à vingt-six ans, ne faillit jamais à ses croyances. Il fréquentait l’église, pratiquait, ce qui ne veut point dire que son œuvre ne s’étende pas au-delà de l’enseignement de la foi révélée. En pareil cas, ce