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peu nombreuses des Maïnotes. Un capitaine du nom de Tsouklas, possesseur du château de Vathya, étant informé qu’un convoi d’argent allait traverser sa capitainerie pour se rendre de Gythium à Vitulo, se crut en droit de prélever, lui aussi, une dîme sur le trésor qu’on faisait passer par ses domaines. Il s’embusque dans un défilé, arrête le convoi et s’empare d’une partie de la somme. Pétro-Bey n’était pas homme à laisser cette injure impunie ; il accourut avec une nombreuse troupe et une pièce de canon, et mit le siège devant le château de Vathya. Tsouklas se défendit en désespéré pendant douze jours. Au bout de ce temps, le canon fit une brèche par laquelle les assaillans pénétrèrent dans la place ; mais ils furent arrêtés par une seconde muraille que Tsouklas avait construite pour prolonger sa défense. Il fallut faire sauter encore cet obstacle, derrière lequel les vainqueurs ne trouvèrent que des cadavres. Tous les assiégés qu’avaient épargnés les balles ennemies s’étaient laissés mourir de faim et de soif plutôt que de se rendre. Tsouklas seul, encore vivant, s’échappa au dernier moment, en descendant au moyen d’une corde au fond d’un précipice béant derrière son pyrgos. Pétro-Bey fit raser le château de fond en comble. Tsouklas put se soustraire à toutes les poursuites, grâce à sa parfaite connaissance des moindres sentiers du Taygète. Quelques années plus tard, il rentra dans le Magne, errant et demandant l’hospitalité d’un monastère à l’autre, vivant d’aumônes, psalmodiant une complainte qu’il avait composée sur sa propre infortune, et dont nous n’avons pu apprendre que le refrain :


« Les vautours se sont abattus sur le nid du corbeau ; qu’est devenu le pyrgos de Vathya ? Les noirs Mavromichalis l’ont détruit. »


L’infortuné vécut fort longtemps encore, et revint tristement mourir sur les ruines mêmes de son ancienne demeure. Pétro-Bey, débarrassé de tous ses rivaux, très populaire dans tout le Magne, put à bon droit se regarder comme le fondateur de sa dynastie, et décora son fils aîné du titre de beyzadé, c’est-à-dire fils du bey, héritier présomptif ; mais l’affranchissement de la Grèce allait renverser cette espérance. Pétro-Bey n’en fut pas moins le premier à lever l’étendard de l’insurrection (1821), conjointement avec le célèbre Colocotronis. À ce moment, le Magne cesse d’avoir des annales et une existence particulières ; son histoire entre à partir de cette époque dans le domaine de l’histoire générale de la Grèce. Pendant tout le temps de la lutte nationale, les Mavromichalis montrèrent un courage héroïque ; quarante-neuf d’entre eux, fils, frères, neveux ou cousins de Pétro-Bey, tombèrent glorieusement les armes