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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/436

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comme Raphaël dans sa troisième manière, ici n’individualise pas, il crée des types ; ses personnages ne sont plus des caractères, dramatiques, mais des symboles, des idées. Pour l’ardeur et la générosité des sentimens, la pureté, l’irrésistible élan, nul prince de tragédie n’égalera jamais Tamino ; aucune de ces princesse, malencontreuses dont parle la correspondance de Voltaire, « qui furent jadis retenues dans des châteaux enchantés par des nécromans, » aucune héroïne romanesque ne saurait, pour sa candeur, sa tendresse, sa foi, être comparée à Pamina, et Sarastro n’a pas besoin de parler en sentences pour être à mes yeux le moraliste et le sage par excellence. La musique où son âme sublime s’épanche peut se passer de paraphrase. Dans les génies s’incarnent les idées de religion, de vertu au XVIIIe siècle, et le couple Papageno nous représente, mari et, femme, le peuple de l’époque, avec son sensualisme naïf, son esprit gouailleur et bon enfant, où l’émancipation trouverai plus tard des germes à féconder.


III

Au mois de juin 1791, la partition de la Flûte enchantée était, sinon achevée, du moins fort, avancée. Déjà les répétitions avaient commencé, lorsqu’à l’occasion du couronnement de l’empereur, les états de Bohême commandèrent à Mozart un opéra de circonstance, la Clemenza di Tito, dont Métastase avait fourni le poème. Entre les braves habitans de Prague et le musicien de Saltzbourg, les sympathies étaient de longue date. « Puisqu’ils, me comprennent si bien, avait dit Mozart après cette fameuse revanche donnée par eux à la musique des Noces de Figaro, trouvée obscure ailleurs, — puisqu’ils me comprennent si bien, je veux écrire un opéra pour eux. » Cet opéra, on le sait, fut Don Juan, représenté le 4 novembre 1787 sur la scène de Prague aux acclamations de la cité tout entière, qui, à son éternel honneur, proclama d’emblée le chef-d’œuvre auquel Vienne, toujours travaillée par les intrigues de Salieri et de la coterie italienne, marchandait le lendemain ses applaudissemens. Mozart n’avait rien à refuser aux états de Bohème. Il fallut donc se mettre en route. Mozart partit en août 1791 avec sa femme, et chemin faisant entama sa besogne, n’ayant pour tout terminer qu’un délai de dix-neuf jours. Au sortir des excès de tout genre auxquels il venait de se livrer, ce nouveau travail atteignit sa santé. Il dut, dès son arrivée, appeler le médecin, se soigner. Bientôt pourtant il se trouva mieux, et parut jouir avec bonheur de l’empressement que lui témoignait un groupe d’amis et d’amateurs