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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/442

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conspuer, comme elles le méritent, ces œuvres de l’ineptie et de l’impertinence, les supporte et même les encourage, il faut qu’elle n’ignore plus ce qu’elle fait, et qu’elle apprenne une fois pour toutes que de pareilles entreprises sont des hontes dans l’histoire intellectuelle des peuples. Cela s’intitulait donc les Mystères d’Isis, et se donnait des airs d’anthologie, de mosaïque. Des morceaux empruntés à Don Juan, à Titus, aux Noces de Figaro, y remplaçaient à chaque scène ceux de la partition originale qu’on avait cru devoir supprimer. La parodie, comme de droit, intervint, et sur l’affiche du Vaudeville s’appela les Misères d’Ici !…

Mais laissons au passé ses oripeaux et ses misères, et tâchons de savoir jouir des biens que le présent nous offre. En dehors d’un monde fort restreint d’artistes et de gens de goût qui connaissaient hier en France la partition de Mozart dans sa grandeur, dans son ensemble, qui aujourd’hui la connaîtrait sans ce généreux effort du Théâtre-Lyrique ? Disons-le tout de suite, ce qui fait le rare mérite de la nouvelle mise en scène de la Flûte enchantée, c’est le sentiment d’honnêteté qu’elle respire. Du simple orphéoniste appelé là pour grossir les chœurs aux premiers sujets, du bestial Monostatos, le Caliban de ce monde féerique, à Tamina-Miranda, de l’humble initié du temple d’Isis au divin Sarastro, de Papagena, la joyeuse commère viennoise, à la reine de la Nuit, morne et tragique sous son diadème d’étoiles, — chacun s’évertue et comprend ; tous paraissent pénétrés du souffle de cette incomparable musique. Telle cantatrice habituée aux évolutions chromatiques les plus éblouissantes ici devient sérieuse, et juge, en véritable artiste, que ce n’est point trop de tout son style pour rendre cette phrase d’un sens si profond et si clair. Omnia sub specie œterni, cette musique, du commencement à la fin, ne dit pas autre chose. La religion et l’art semblent s’y unir pour glorifier l’être humain dans ce qu’il a de plus élevé. Quelle inspiration que cet air où Tamino exprime les premières émotions de son amour ! Dans le même ordre d’idées, Mozart n’a jamais rien conçu de si beau. De tous les sentimens que l’homme, éprouve, le plus pur, le plus divin est celui que la femme fait naître. Seulement cet amour dont parle Tamino n’est point la passion comme dans Don Juan ou les Noces de Figaro, mais quelque chose de plus moral, de plus sublime, un but auquel on n’atteint que par la vertu de l’initiation. Je voudrais pouvoir ne donner que des éloges aux traducteurs de la pièce allemande. C’était bien sans doute de s’abstenir de toute manipulation indécente du texte musical, mais c’eût été mieux encore de respecter dans les personnages et les situations du libretto la pensée de Mozart. Que signifie par exemple cette invention d’aller faire un pêcheur de Tamino, qui chez Mozart