Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/447

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on sent que son oracle ici lui est dicté par une saine et calme appréciation des choses. Personne au monde mieux que le grand symphoniste ne pouvait avoir à prononcer sur une partition qui, grosse de tous les trésors de la polyphonie moderne, va du lied au choral, à la fugue. Et quand Beethoven déclare que la Flûte enchantée est le plus grand chef-d’œuvre de Mozart, il faut l’en croire. Toute la splendeur de la musique est là, à commencer par l’ouverture, un tour de force du génie. Mozart y bat les vieux maîtres du contre-point sans avoir l’air d’y toucher et comme en vous disant : « Voyez, ce n’est pourtant pas plus difficile ! » Tant de science lui semble un jeu. S’il emploie la fugue, c’est que son sujet l’y convie, et qu’il veut, comme le prêtre d’Isis, « par l’ombre et la nuit, conduire l’initié vers la lumière. » Ce sens mystérieux qu’on retrouve partout dans le chef-d’œuvre, c’est la vie même de Mozart, avec ses erreurs, ses travaux, ses degrés d’initiation parcourus. À propos de symbolisme, qui n’a remarqué dans la Flûte enchantée cette prédominance triomphante du majeur, du mode-clarté, transparence, lumière ? Lorsque survient le mineur, le mode-nuit, ténèbres, c’est par accident, et comme une nuée voilant le céleste azur. À cette harmonie si longtemps cherchée, trouvée enfin, le majeur devait servir d’expression, de couleur. Désormais le beau divin et le beau humain ne font qu’un ; plus d’antagonisme des deux principes, de lutte comme au moyen âge : l’idéal dans le sensuel, l’infini dans le fini, une musique qui, si quelque chose pouvait l’égaler, ne trouverait son terme de comparaison que dans la plastique des Grecs ou la peinture de Raphaël.


HENRI BLAZE DE BURY.