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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/472

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l’a souvent condamné ; mais, tout en le condamnant, il est bien rare qu’elle ne manifeste pas quelque sympathie pour lui : elle y retombe toujours plus ou moins à son insu. Tout en reconnaissant une certaine valeur spéculative à la raison, elle se défie d’elle dans la pratique ; elle ne lui accorde qu’une très faible action sur la vie humaine, et conteste son droit à gouverner et à améliorer les sociétés. Si telles sont les dispositions des théologiens en général, il n’est pas étonnant que de temps à autre on voie s’élever quelques esprits violens et passionnés, qui, déchirant les voiles, mettant à nu les racines des choses, prenant plaisir à voir « la superbe raison froissée par ses propres armes, et la révolte sanglante de l’homme contre l’homme, » sacrifient sans mesure la raison à la foi, et prétendent édifier la religion sur la base ruineuse d’un absolu pyrrhonisme. Tel a été Pascal au XVIIe siècle, tel encore de nos jours l’abbé de Lamennais.

La science, de son côté, a également un critérium qu’elle considère comme infaillible : c’est l’expérience, aidée du calcul ; je ne parle pas de cette expérience interne de la conscience, dont chacun peut toujours, s’il le veut, récuser l’autorité, mais de l’expérience des sens, qui, aidée de tous les moyens les plus ingénieux et les plus subtils de la méthode et de l’analyse, confirmée par les déductions du calcul, met sous les yeux de tous avec une rigueur irrécusable les faits de l’univers sensible, ainsi que les rapports constans et universels, c’est-à-dire les lois de ces faits. Une fois qu’une question a été tranchée par l’expérience, il n’y a plus de débat : partout la même solution est acceptée et enseignée ; philosophes ou croyans, catholiques ou protestans, déistes ou athées, tous s’y soumettent. Il n’y a qu’une physique et qu’une géométrie, et c’est là qu’on peut dire en toute vérité : La science a parlé, la cause est entendue. Bien plus, le nombre de ces vérités universellement admises augmente sans cesse ; aucune ne se perd, et de nouvelles viennent toujours s’ajouter aux précédentes. Enfin la certitude incomparable de ces sortes de vérités se démontre encore par les innombrables applications qui en sont faites, qui vérifient la solidité du principe en même temps qu’elles améliorent et perfectionnent la condition de la société. Telles sont les raisons pour lesquelles les savans comme les théologiens contemplent avec quelque indifférence, et souvent même avec une hostilité prévenue, les systèmes philosophiques, toujours en lutte les uns contre les autres, toujours vaincus, toujours renaissans, et dont aucun ne paraît avoir jusqu’à présent réussi à établir définitivement une seule vérité à l’abri de toute controverse et de toute interprétation contradictoire. Ce genre de scepticisme est, en pratique, l’état d’esprit de la plupart des savans :