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pas été ? Supposer avec Fichte que c’est l’esprit qui crée le monde actuel est déjà une singulière fiction ; mais imaginer que l’esprit trouve dans ce monde actuel, déjà fictif, les traces d’un monde antérieur qui n’a pas existé, c’est le comble de la fantaisie et du paradoxe.

Il n’est pas aussi facile d’établir, je le reconnais, que les sciences nous font passer des phénomènes aux substances et aux causes, et pour le démontrer il faudrait des analyses trop délicates et trop difficiles pour être utilement abordées ici. Contentons-nous de dire que les sciences nous font passer du relatif à l’absolu ; elles le font par exemple lorsqu’elles établissent entre les phénomènes des rapports fixes, mesurés, indépendans de mon propre point de vue, de mes affections et même de mon existence. Ces rapports sont en soi toujours les mêmes, et on peut toujours les retrouver dans quelque circonstance que ce soit. Sans doute ces rapports paraissent changer avec les circonstances elles-mêmes ; mais si l’on décompose les phénomènes complexes qui résultent de la rencontre des circonstances, on voit que la loi qui les régit n’est que la résultante de toutes les lois élémentaires qui régissent chaque classe de phénomènes en particulier, de telle sorte que la complexité même de ces rapports est une vérification merveilleuse de la parfaite exactitude des lois simples qui se sont combinées pour les produire. Ces lois sont donc quelque chose d’absolu : sans doute elles sont loin d’être le dernier absolu ; mais elles le supposent, elles y conduisent, soit qu’on les considère comme la manifestation d’un être infini, dont elles seraient l’essence même, ce qui est l’hypothèse du panthéisme, soit qu’on les suppose décrétées et portées par une intelligence et une volonté absolues, ce qui est la doctrine théiste. Vous dites qu’il suffit de constater que de telles lois existent, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si elles sont absolues ou relatives ; mais n’est-ce pas là trop présumer de l’incuriosité humaine, et comment voulez-vous nous apprendre qu’il existe dans la nature des rapports permanens, généraux, absolus au moins en apparence, sans que nous soyons tentés de demander s’ils ne seraient pas l’expression ou l’œuvre de quelque être absolu ?

En un mot, bien loin de voir entre les sciences et la métaphysique, comme on est tenté de le croire, une opposition et une rivalité naturelles, il nous semble au contraire qu’elles sont intimement liées, que les sciences doivent nécessairement éveiller la curiosité métaphysique, non pas peut-être chez les savans, qui ont autre chose à faire, mais chez les hommes que leur esprit prédispose à ces sortes de recherches. Les sciences, quoi qu’elles en aient, plongent de toutes parts dans l’intelligible et dans l’absolu. À la vérité, elles peuvent toujours en revenir quand elles le veulent, reprendre