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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/497

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cette observation, on peut dire que les sciences nous donnent une véritable démonstration du monde extérieur, si souvent mis en doute par les sceptiques. Tant qu’on n’a vu dans le monde extérieur, comme le pyrrhonisme de l’antiquité, que des phénomènes variables et changeans, sans autre lien que celui qu’établissent l’imagination et l’habitude, on comprend jusqu’à un certain point le scepticisme à l’égard du monde extérieur ; mais lorsque, par l’analyse, l’expérimentation et le calcul, on vient à déterminer à priori l’ordre dans lequel les phénomènes devront se produire, lorsque l’induction, dépassant les limites de toute expérience, pénétrant dans le passé, reconstruit l’histoire du monde avec une admirable précision, qui pourrait ne voir là que le rêve de l’imagination, le fantôme d’une raison subjective ? A propos de quoi irais-je supposer que ces phénomènes si complexes, soumis à tant d’influences entrecroisées, et cependant dérivant tous de quelques lois très simples, à quel propos irais-je supposer que ces phénomènes viennent de moi et ne résident qu’en moi ? Passe encore pour Kepler et pour Newton, qui ont découvert les lois du système du monde. On peut dire que c’est leur propre raison qu’ils ont objectivée ; mais, pour moi, ou pour tout autre, qui ne savons pas même formuler ces lois, qui les comprenons à peine, qui n’en connaissons ni la démonstration ni les conséquences, de quel droit pourrions-nous supposer qu’elles sont l’œuvre de notre esprit ? Voici la Mécanique céleste de Laplace, à laquelle il est impossible de rien comprendre sans être versé dans les plus hautes et les plus profondes mathématiques. Ce livre explique avec la plus merveilleuse précision des mouvemens que je n’ai jamais observés, des phénomènes dont je ne sais pas même le nom. Et tout cela, ces phénomènes, ces mouvemens, ces lois, ces nombres, ces calculs, ce grand système de mécanique, serait l’œuvre de mon esprit ! On voit que d’absurdités pour l’idéaliste qui voudrait aller jusque-là. Quant à celui qui, moins excessif, se contenterait de soutenir la subjectivité de la raison humaine en général, la science lui donne encore une sorte de démenti, car il n’y a pas toujours eu de raison humaine, il n’y a pas toujours eu d’hommes sur la terre. Si haut que la géologie fasse remonter l’origine de l’homme, on n’ira pas jusqu’à dire que l’homme est éternel, car la vie même n’est pas éternelle. Cependant, avant l’homme, le monde existait. Supposez donc, comme le disait autrefois Protagoras, que l’homme soit la mesure de toutes choses : que signifie cette histoire du monde antérieur à l’homme ? A quel propos et comment l’homme aurait-il pu tirer de la série de ses phénomènes subjectifs une induction qui lui représenterait un monde antérieur à lui, et dans lequel il serait apparu un jour ? Si tout est subjectif, comment l’homme peut-il concevoir quelque temps où il n’aurait