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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/518

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un autre jésuite, enfant de grande maison qui est entré dans la compagnie le père de Sainte-Maure, sera à son tour amoureux de cette jeune fille née du père Montgazin. Non, décidément, l’auteur n’est point heureux dans ses inventions, et, tout bien pesé, la fable romanesque n’aide pas à la prédication, à « l’apostolat pacifique. » Si c’est de cette trempe que sont les jésuites qui se font libéraux, il vaut autant qu’ils restent ce qu’ils sont et qu’on les combatte par d’autres armes que des romans. Ni l’énigme religieuse, ni la littérature, je suppose, ne perdraient rien quand l’auteur du Maudit en resterait là de son épopée des mœurs cléricales. Il y a déjà sept volumes. Nous avons le Jésuite, nous nous passerions bien du Moine, car enfin que peut-il bien arriver à ce moine après ce qui est arrivé au père Montgazin ? Cela peut conduire loin, et en dernière analyse ces amours de robe noire, ces scènes lubriques racontées dans un style onctueux, ne sont pas d’un souverain intérêt, sans compter que ce n’est pas un acheminement des plus sûrs vers la régénération du siècle.

L’auteur du Prêtre marié, quant à lui, est d’une tout autre école que l’auteur du Jésuite. Il n’est pas pour les molles complaisances, pour l’apostolat pacifique. C’est un catholique déterminé, peu accommodant et très fort en couleurs, c’est-à-dire qu’il se fait un catholicisme de sa façon, qu’il interprète comme il l’entend, qu’il croit sans doute très orthodoxe, et qui ne laisse pas d’ailleurs de lui permettre beaucoup de choses dans le détail de ses inventions. Il marie son prêtre, il est vrai, et même il le plonge dans l’athéisme le plus cru ; il le traîne de chute en chute, mais c’est pour faire plus d’honneur à la théorie et pour mieux mettre en relief la grandeur de l’idée religieuse par les rigueurs et les fatalités de l’expiation. Seulement il arrive ceci, qu’on oublie le catholicisme en chemin, et qu’on reste dans une atmosphère de fatigantes excentricités et de petites horreurs. M. Barbey d’Aurevilly avait déjà donné un édifiant spécimen de son catholicisme dans un certain personnage de son roman de l’Ensorcelée, un abbé de la Croix-Jugan dont s’éprend follement une jeune fille de grande noblesse mariée à un plébéien. C’est vraiment le triomphe de la chevalerie et du catholicisme. L’abbé Sombreval, le héros du Prêtre marié, n’est pas un type moins curieux et moins étourdissant. Il remplit deux volumes de ses aventures, de ses prouesses de savant athée, et Dieu sait quelles prouesses, quelles aventures !

Ce n’est pas qu’au fond, tout au fond, dans ce roman il n’y ait une idée susceptible de dramatiques développemens. Un prêtre a-t-il le droit de se marier selon la loi civile ? La loi est muette, la jurisprudence est douteuse et a de la peine à se fixer ; mais si la question est incertaine dans la loi, dans la conscience du juge, elle est tranchée dans les mœurs, dans l’esprit général de la société, dans l’instinct des masses. Supposez donc un prêtre à qui la loi, interprétée dans le sens le plus large, accorde ce droit de secouer sa robe et de se marier : tout n’est pas fini par cela même ; le lendemain,