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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/597

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pas l’instruction élémentaire ; toutefois c’est plutôt une sorte d’université où l’on arrive ayant déjà quelques notions de lecture et d’écriture que peut donner dans le village le prieur de la mosquée. Les élèves y séjournent, à leur gré, plusieurs années, recevant les leçons de professeurs divers sur l’explication du Koran, les élémens du calcul et de l’astronomie, la versification, les commentaires du droit musulman.

Il semble aller de soi que, dans les zaouïas kabyles, l’enseignement se fasse en langue kabyle ; non, il se fait en arabe. C’est d’abord que le fond de cet enseignement est religieux, et que, pour toute population islamique, il y a défense expresse d’étudier le Koran dans une autre langue que celle du prophète ; puis la langue kabyle ou berbère, langue entièrement originale, qui n’est ni sœur ni parente de l’arabe, manque complètement d’une écriture qui lui soit propre : les signes qui, dans l’ancien temps, ont dû représenter la langue kabyle écrite ont disparu sans que l’histoire ni la tradition en puissent expliquer la perte. Tout ce qui se trouve écrit, — comme les kanauns des villages, — ou s’écrit aujourd’hui en kabyle emprunte forcément les caractères arabes. Aussi, tandis que la réputation des zaouïas est grande par toute l’Algérie et qu’elle attire des élèves de tous les points de l’Afrique du nord, la Kabylie n’y envoie guère que des fils de marabouts dont les familles tiennent à conserver le prestige de la science et de la religion, et peu de Kabyles savent lire ou écrire parmi ceux-là même qui dirigent les affaires publiques. Il faut le dire d’ailleurs, l’instinct du Kabyle ne le pousse pas à l’instruction ; il n’a point le goût du livré. Son intelligence et sa conception, bien que très vives, ne sont pas portées vers les travaux de l’esprit. Sur sa propre histoire, il manque de tout document sérieux. Ses légendes, les Arabes les savent mieux que lui. De sens historique, il n’en a pas, et quand il parlé de ses anciennes guerres contre le dey d’Alger, il cite sans cesse comme chef des forces ennemies le même bey Mohammed, qui, tout calcul fait, aurait vécu trois cents ans.

La seule littérature nationale et populaire dans le Djurdjura, c’est la chanson. Elle se transmet sans s’écrire, mais simplement de bouche en bouche, en se chantant sur une musique originale, un peu sauvage dans les accens guerriers, traînante et douce dans les couplets d’amour. Sujets de guerre, satires, poésies amoureuses ou légères, la chanson embrasse tout. Dans ce genre de littérature,