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pour ne pas être des hébétés, des stupides, des dupes continuelles,… et la grande étude est de ne s’y pas méprendre au milieu d’un monde la plupart si soigneusement masqué. » On a encore porté des masques depuis Saint-Simon, et de nos jours la mode n’en est peut-être pas entièrement passée. Faisons donc bon accueil à ceux qui nous aident à découvrir les vrais visages. Nous touchons d’ailleurs, si je ne me trompe, au moment où la grande épopée du consulat et de l’empire vient se placer naturellement et comme d’elle-même à son véritable point de vue. Cette histoire n’est pas à refaire, elle a été écrite en traits ineffaçables. Peut-être pourrait-on seulement la compléter en la considérant sous un autre jour et par de nouveaux aspects. Il s’agirait d’abandonner ce qu’on appelle la grande méthode, celle qui consiste à s’attacher aux effets d’ensemble. On se prendrait de préférence aux détails caractéristiques, et, pénétrant jusqu’à l’arrière-scène, passant derrière toutes les décorations extérieures, on introduirait le lecteur jusque dans l’intérieur des coulisses. Les mémoires du comte Mélito et la correspondance du roi Joseph serviront merveilleusement ceux qui entreprendront un jour pareille tâche ; mais le cardinal Consalvi leur sera aussi de grand secours, car personne n’a plus que lui horreur de l’apprêté et du convenu. Ce n’est pas lui qui se maintient de parti-pris dans les régions officielles, son bonheur est d’en sortir continuellement ; il le fait toujours avec justesse et convenance. Ses anecdotes ne sont pas des hors-d’œuvre, elles nous font au contraire entrer plus avant dans le fond même des choses qu’il nous raconte. Oserais-je enfin ajouter que la publication de ces mémoires n’est pas dénuée d’un véritable à-propos ?

Certes ce n’est point dans le passé qu’il faut aller chercher la clé de l’avenir. Les événemens se succèdent d’après certaines règles plutôt qu’ils ne se reproduisent. Lorsqu’on serait le plus tenté de les trouver à peu près pareils, on découvre encore entre eux beaucoup plus de diversité que de ressemblance. Il serait puéril cependant de dédaigner les utiles leçons qui résultent du rapprochement des faits. Dans le recommencement perpétuel des choses humaines, rien de parfaitement identique, rien non plus d’absolument nouveau : l’esprit politique, n’est-ce pas, à vrai dire, la faculté heureuse de prévoir à peu près ce qui sortira d’une situation donnée ? A quoi tient l’habileté des plus avisés, sinon à soupçonner entre le passé et le présent certaines analogies lointaines et vagues qui échappent au vulgaire et dont ils savent tirer parti ? Jetons les yeux autour de nous. Si un conclave s’ouvrait à Rome, — ce qu’à Dieu ne plaise ! — avant le 15 septembre 1866, ou plus tard après l’évacuation des troupes françaises, qu’arriverait-il ?