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partisans, les scrutins prirent une physionomie parfaitement uniforme. Les voix opposées à Bellisomi, qui s’étaient jusqu’alors réparties comme au hasard entre divers cardinaux, se réunirent à peu près toutes sur Mattei. Jamais il n’eut moins de dix voix. Le nombre s’éleva quelquefois jusqu’à onze, douze, et même treize. Bellisomi garda ses dix-huit voix, qui montèrent jusqu’à vingt et une et même à vingt-deux. Dans de semblables conditions, les deux camps ainsi en présence et décidés à ne pas céder, toute élection devenait impossible. Le but du cardinal Antonelli était atteint : il n’était plus nécessaire à Herzan de mettre sa cour en avant. Au doyen du sacré-collège, qui lui demandait quelles instructions il avait reçues de la chancellerie impériale, il répondit que le courrier n’était pas revenu. Sommé de tenir la parole qu’il avait donnés de favoriser Bellisomi, il prétendit qu’il n’était plus obligé à rien de semblable, puisque le petit nombre de voix dont il disposait personnellement n’assurerait pas l’élection. Ces fausses et artificieuses allégations, car il ne les qualifie pas autrement, arrachent des paroles de colère à Consalvi. « C’est ainsi, s’écrie-t-il, que, dirigé par une main plus hardie, Herzan se joua de la majorité du sacré-collège, à qui, peu de temps auparavant, il avait adressé d’humbles prières en sollicitant quelques jours de répit. C’est ainsi qu’après avoir foulé aux pieds tous les égards, on sacrifia un homme juste et innocent. Seule, la vertu dont il était doué à un si haut degré put lui faire supporter sans une ombre de plainte, sans même que la sérénité de son visage en fût altérée, la perte de cette tiare qu’il n’avait point ambitionnée, qu’aucune intrigue ne lui avait procurée, mais que lui avaient décernée dès le principe la seule estime et la seule vénération de la presque totalité des électeurs. Disons-le franchement, on la lui arracha de la tête à l’aide des cabales, car on peut affirmer avec vérité qu’il la portait déjà pendant le temps accordé pour attendre le courrier de Vienne. Tous les cardinaux se le montraient du doigt chaque fois qu’ils le rencontraient, soit à la chapelle, soit aux scrutins, ou bien se promenant dans les corridors du monastère de Saint-George, et tous ils se disaient : « Voici le pape. »

Force était cependant d’arriver à quelque résultat. Plusieurs des cardinaux les moins engagés dans le parti de Bellisomi s’y entremirent. Il y avait, entre les deux groupes opposés, trois ou quatre membres bien connus du sacré-collège qui s’étaient fait remarquer par une neutralité absolue. Ils n’avaient publiquement adhéré à aucun des deux concurrens, ils avaient même intentionnellement perdu leurs suffrages en ne les accordant d’une manière stable à qui que ce fût. Leurs voix s’étaient portées tantôt sur un cardinal,