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« Pour le reste, ajoutait-il, il faut s’y résigner. » Il voulait parler des habitudes légères et dissipées auxquelles Dolabella, malgré son mariage, ne renonçait pas. Il avait promis de se ranger, mais il tenait peu sa promesse, et quelque bonne volonté qu’eût Cicéron de fermer les yeux sur ses désordres, il finit par lui rendre la résignation bien difficile. Il continuait à vivre comme la jeunesse d’alors, faisant du bruit, la nuit, dans les rues, sous les fenêtres des femmes à la mode, et ses débauches semblaient scandaleuses dans une ville habituée au scandale. Il s’attacha à une femme du monde célèbre par ses aventures galantes, Cæcilia Metella, l’épouse du consulaire Lentulus Spinther. C’est la même qui ruina plus tard le fils du grand acteur tragique Æsopus, ce fou qui, ne sachant qu’inventer pour arriver plus vite à sa perte, eut la singulière vanité, dans un dîner qu’il donnait à sa maîtresse, de faire dissoudre une perle de 2 millions et de l’avaler. Avec une personne comme Metella, Dolabella eut bientôt achevé de dévorer sa fortune. Il dissipa ensuite celle de sa femme, et, non content de la trahir et de la ruiner, il la menaçait de la renvoyer quand elle osait se plaindre. Il semble que Tullia l’aimait beaucoup et qu’elle résista longtemps à ceux qui lui conseillaient le divorce. Cicéron accuse quelque part ce qu’il appelle la folie de sa fille ; mais il lui fallut enfin se décider après de nouveaux outrages, et quitter la maison de son mari pour retourner chez son père. Elle était enceinte. Une couche qui survint dans ces circonstances pénibles l’emporta à Tusculum à l’âge de trente et un ans.

Cicéron fut inconsolable de sa mort, et le chagrin de l’avoir perdue a été certainement la plus grande douleur de sa vie. Comme on connaissait son affection pour sa fille, il lui arriva de tous côtés de ces lettres qui ne consolent ordinairement que ceux qui n’ont pas besoin d’être consolés. Les philosophes, dont il était l’honneur, essayèrent par leurs exhortations de lui faire supporter plus courageusement cette perte. César lui écrivit d’Espagne, où il achevait de vaincre les fils de Pompée. Les plus grands personnages de tous les partis, Brutus, Lucceius, Dolabella lui-même, s’associèrent à sa douleur ; mais aucune de ces lettres ne dut le toucher plus vivement que celle qu’il reçut d’un de ses vieux amis, de Sulpitius, le grand jurisconsulte, qui gouvernait alors la Grèce. Nous l’avons heureusement conservée. Elle est tout à fait digne du grand esprit qui l’écrivait et de celui à qui elle était adressée. On en a souvent cité le passage suivant : « Il faut que je vous dise une réflexion qui m’a consolé, peut-être parviendra-t-elle à diminuer votre affliction. À mon retour d’Asie, comme je faisais voile d’Égine vers Mégare, je me mis à regarder le pays qui m’entourait. Mégare était devant