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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/670

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sans ce gigantesque colosse d’Aménophis III, maintenant renversé et couvert d’eau, que nous laissons sur notre gauche. Nous arrivons au village de Sakkara, au pied de la chaîne libyque, vers le milieu de cette file de pyramides qui s’étend sans interruption d’Abou-Roasch au Fayyoun, sur une longueur de vingt-cinq à trente lieues ; il y en a en tout de soixante à soixante-dix. La plus voisine de nous est à gradins et bâtie de la façon la plus étrange, composée qu’elle est d’épaulemens successifs se recouvrant comme les enveloppes d’un noyau. M. Brugsch conjecture avec toute vraisemblance que c’est la pyramide de Cochomé, laquelle fut bâtie par le quatrième roi de la première dynastie. Ce serait donc ici le monument le plus ancien de l’Égypte et du monde ; mais c’est là un témoin bien muet auprès de ceux que nous allons consulter. Négligeons même, à deux pas de nous, le Sérapéum, cette première et surprenante découverte de M. Mariette, malgré sa haute importance scientifique. N’ayons d’attention que pour les tombeaux dont le sable est parsemé, et dont la plupart ont été trouvés également par notre infatigable ami.

Ces tombeaux offrent la physionomie la plus caractérisée[1]. Ce sont de petits pylônes ou des pyramides tronquées, formant par leur rapprochement des rues étroites, des impasses, une vraie ville des morts. La façade est décorée de longues rainures prismatiques terminées par des feuilles de lotus liées en bouquet par le pédoncule[2]. La porte est très étroite et n’est jamais au milieu de la façade. Elle est surmontée d’un tambour cylindrique présentant le nom du mort. Le nom de ces monumens, en égyptien, signifie « maison éternelle. » L’intérieur est fort divers sous le rapport du nombre et de la distribution des pièces ; mais l’idée qui a présidé à la construction de cette « maison éternelle » est toujours la même. C’est bien la demeure du mort pour l’éternité. On vient l’y voir à certains jours. Il est là au milieu des siens, de sa femme, de ses enfans, de ses domestiques, de ses scribes, de ses chiens, de ses singes verts, représentés en petite imagerie sur les parois de chaque chambre. Le portrait du défunt, en bas-relief, se trouve à la place d’honneur ; d’ordinaire il est répété plusieurs fois. Une grande stèle donne ses titres et quelquefois sa biographie. S’il y avait dans la maison un personnage ayant un trait caractéristique, une infirmité par exemple, on le représente, pour que les souvenirs du mort ne soient pas dérangés. Tous les détails de la vie du temps se voient

  1. M. Mariette les a parfaitement décrits dans son catalogue du musée de Boulaq," dont l’impression s’achève en ce moment (p. 20 et suiv.).
  2. Voyez des spécimens de ces curieux monumens dans Lepsius, Denkmœler aus Ægypten und Æthiopien, première partie, p. 25 et 26.