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à l’entour : cette vie est presque uniquement agricole ; elle se passe dans des fermes ou édifices légers portés sur des colonnettes élégantes. Le nombre des animaux domestiques que possédait le défunt (bœufs, ânes, chiens, singes, antilopes, gazelles, oies, demoiselles de Numidie, canards, cigognes domestiques, tourterelles) est soigneusement écrit sur le mur[1]. À ces détails domestiques se mêlent tous les souvenirs de la carrière du défunt, de ses voyages, de son commerce. Jeux, danses, luttes, joutes sur des barques, chanteurs, danseuses aux cheveux tressés et ornés de plaques d’or, rien n’y manque. Tout cela est d’un réalisme absolu, d’une jolie petite sculpture peinte très fine, visant surtout à être expressive ; des légendes hiéroglyphiques expliquent surabondamment ce que les images auraient d’obscur. Jamais une trace de vie militaire avant la douzième dynastie, assez peu de religion, aucune trace de ces chapitres du rituel qui plus tard seront la décoration obligée de toutes les sépultures. La divinité n’est représentée par aucune image, ni désignée par aucun nom. Anubis est déjà le gardien de la « maison éternelle. » Quant à Osiris, le dieu funèbre par excellence, on ne le voit jamais représenté à cette époque. Ces tombeaux ne sont nullement des chapelles funéraires consacrées à un dieu. C’est le mort qui est le maître et en quelque sorte le dieu de céans ; tout est pour lui, tout converge vers lui. D’un autre côté, rien ne ressemble moins au tombeau de famille, à ces sortes de grandes salles communes, où venaient se coucher tour à tour les générations, comme on en trouve chez les Hébreux et les Phéniciens. Le tombeau ici est tout individuel ; la femme même, sauf quelques exceptions, n’y est pas admise avec son mari ! Ce sont, en un mot, des maisons imaginaires que l’âme du mort habite, qu’il hante, où il trouve ses aises, ses habitudes. Aucune lumière n’y pénétrait quand la porte était fermée. On n’y entrait qu’à certains anniversaires et pour renouveler les objets d’offrande. On partait de cette idée en effet, que le mort conservait des goûts et des besoins analogues à ceux qu’il avait eus de son vivant. On lui servait des mets, on mettait à sa disposition des ustensiles. Noble et touchante obstination ! ces alimens, ces objets eurent beau chaque fois rester intacts ; durant des milliers d’années, on n’eut pas d’yeux pour voir. Aujourd’hui encore, malgré l’islamisme, ces pieuses croyances n’ont pas disparu. Quelque temps après la mort d’une personne regrettée, le fellah va manger près de son tombeau, y dépose des oignons. D’autres, à l’article de la mort, consentent à révéler leur trésor à la condition

  1. On ne voit figurer ni chevaux, ni chameaux, ni girafes, ni éléphans, ni moutons, ni chats, ni poules.