Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saïs que vit Solon crut sans doute faire une amère critique de la Grèce : « Vous êtes des enfans ! il n’y a pas de vieillards parmi vous, vous êtes tous jeunes d’esprit. » Erreur profonde d’un conservateur étroit, fier de ce qui fait son infériorité. Il est permis de n’être plus jeune ; mais il faut l’avoir été. Ces gardiens inintelligens de lettres mortes ne voyaient pas ce qui faisait la force et la beauté de la Grèce, comme beaucoup d’esprits pesans de nos jours croient avoir tout dit contre la France, lorsqu’ils lui ont appliqué l’épithète de révolutionnaire.

Les tombeaux que nous venons de décrire, si nombreux dans le sable de Sakkara et au pied des pyramides, sont tous datés des six premières dynasties, et ne le seraient-ils pas, ils porteraient l’indication de leur âge relatif dans leur style et dans l’ordre d’idées qu’ils expriment. Qu’on les compare à ceux des grottes de Beni-Hassan (2500 ans avant Jésus-Christ). L’idée qui a présidé à la construction de ces derniers tombeaux est encore en un sens la même. Le mort est le dieu de sa maison éternelle ; cette maison est une grande chambre, gaie, peuplée, vivante, sans représentations superstitieuses, sans terreurs. Aux tombeaux de Biban-el-Molouk, près de Thèbes, lesquels sont en moyenne de 1500 avant Jésus-Christ, tout est changé. Ces deux classes de tombeaux ne se ressemblent pas plus qu’un tombeau païen ne ressemble à un tombeau chrétien. Le défunt n’est plus chez lui. Un panthéon nombreux a envahi la demeure des morts. Les images d’Osiris et les chapitres du rituel couvrent les murs. On prête des vertus surnaturelles à ces images et à ces grandes pages d’interminable catéchisme, puisqu’elles étaient destinées à une nuit éternelle et néanmoins gravées avec autant de soin que si le public avait dû les lire. D’horribles fictions, les plus folles qu’un cerveau humain en délire ait jamais conçues, se déroulent sur les parois. Le prêtre l’a emporté ; ces effroyables épreuves que l’âme traverse sont pour lui autant de bonnes aubaines ; il a le pouvoir d’abréger les épreuves de la pauvre âme. Quel cauchemar que ce tombeau de Séthi Ier ! Qu’on est loin de cette première religion de la mort, résultat d’une croyance simple et invincible en une survivance, sans rien de sacerdotal, sans aucune de ces longues séries de noms divins qui devaient aboutir à la plus sordide superstition. Je le répète, un tombeau de nos cathédrales gothiques diffère moins de l’un des tombeaux de la voie Appienne que les tombeaux de Sakkara ne diffèrent de ceux qui remplissent cette étrange vallée de Biban-el-Molouk.

Et voyez comme tout cela est en parfait accord avec l’esprit qui a présidé à la construction des pyramides, comme les tombeaux que nous venons de décrire d’une part, les pyramides de l’autre, procèdent bien de la préoccupation de se bâtir à soi-même une demeure