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inaccessible pour l’éternité. La pyramide n’est autre chose que la « maison éternelle » des rois ou des personnes de la famille royale. Toutes les particularités en apparence bizarres et parfois encore inexpliquées de ces dernières constructions n’ont qu’un but, dissimuler soigneusement la place du cadavre, créer une chambre introuvable où le corps attende en repos le jour de la résurrection. De là ces entrées habilement bouchées et qu’on a soin de ne jamais placer au milieu des faces du monument, de là ces couloirs intérieurs remplis de blocs, ces ruses, ces efforts pour dépister le profanateur et l’éloigner de la cellule royale, ces échappées en forme de puits, ménagées afin de faire sortir les ouvriers qui avaient travaillé au dedans à combler les couloirs. Les précautions étaient si bien prises, que, pour la grande pyramide, la chambre de Chéops n’a été trouvée que sous le kalife Mamoun. Chéops y a donc reposé en paix, selon son désir, plus de cinq mille ans. Tout ici respire en effet la haute antiquité, tout est simple, fort, naïf, exagéré quant au choix des moyens, scrupuleux dans l’exécution. Quel chef-d’œuvre que cette chambre intérieure de la grande pyramide ! Le poli et le jointoiement des blocs de granit rose qui lui servent de revêtement ne le cèdent en rien aux ouvrages les plus parfaits de l’antiquité. Malgré l’épouvantable poids que porte cette chambre, elle n’a pas fléchi d’un millimètre ; le fil à plomb n’y accuse pas la moindre déviation. Pas un ornement ; la beauté n’est demandée qu’à la seule perfection de l’exécution. Sincérité absolue ; nul ne devait entrer dans cette chambre ; tout le soin qu’on a pris de la construction est uniquement par respect pour le mort. Au milieu de la chambre est le sarcophage en granit, colossal, sans aucun ornement. La partie conservée du revêtement de la seconde pyramide porte également le cachet d’un art primitif, ne donnant rien à l’ostentation ni à l’apparence, supposant un sérieux parfait, ne trichant ni avec Dieu ni avec les morts. Comparez cela aux grandes constructions de Thèbes, plus modernes de trois mille ans. La différence se voit au premier coup d’œil. Je ne puis vous dire la déception que causent ces temples, d’ailleurs si étonnans, de Thèbes et d’Abydos, quand on en étudie la construction en détail. L’ensemble est des plus grandioses, mais l’exécution est souvent fort médiocre ; il semble qu’on a surtout en vue de fournir un soutien à la peinture décorative : matériaux peu choisis, pierres posées en délit, irrégularité choquante des assises, joints verticaux disposés sans nulle précaution, tous les signes de la négligence et de la précipitation s’y font remarquer. On sent une hâte extrême ; la personnalité du souverain, qui a voulu que l’édifice élevé a sa gloire fût vite fini, perce à chaque instant. Pressé, bâtonné peut-être,