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aucun caractère féodal ou militaire, une société gouvernée par une sorte d’académie des sciences morales et politiques, une nuée de fonctionnaires, une administration très développée, une notion fort limitée des droits de l’individu, une idée énormément exagérée des droits de l’état, un grand bon sens, une certaine douceur de mœurs, moins de sang répandu que dans toutes les vieilles histoires ; avec cela, nulle science, nulle philosophie, nulle critique, nul progrès, — règne absolu de la médiocrité. Le principe de telles sociétés en effet n’était pas l’individu énergique, libre, violent, mais l’état personnifié dans le roi. Le roi n’est point ici, comme au moyen âge, le représentant d’une conquête ; il est censé l’homme le plus sage de son royaume. À ce titre, il s’occupe de tout, règle tout. L’absence d’esprit militaire enlevait à ce pouvoir tout contre-poids. La vitrine qui surprend le plus au musée de Boulaq est celle des armes. Elles sont de la onzième dynastie, trouvées à Thèbes, et toutes en bois ! Grâce à de telles institutions, l’Égypte était florissante, riche, savamment organisée, quand les ancêtres des peuples indo-européens. et ceux des peuples sémitiques ne formaient qu’un petit nombre de familles pastorales errant dans les steppes de la Tartarie et vivant à peu près comme les Kirghiz d’aujourd’hui, c’est-à-dire sans rien de ce que nous appelons civilisation, dans une indépendance absolue, n’ayant d’autre gouvernement que celui de la famille et de la tribu, pleins d’une fierté indomptable, animés d’un profond sentiment de l’infini. Deux mille cinq cents ans avant Jésus-Christ, quand les pasteurs représentés dans les grottes de Beni-Hassan vinrent demander l’hospitalité aux gouverneurs de l’Égypte, ceux-ci sourirent probablement de la simplicité de ces bonnes gens. Les Beni-Israël (18 ou 1900 ans avant Jésus-Christ), les Hyksos, phéniciens et arabes, vers le même temps, sont traités de barbares. Quelques siècles après, pendant que les Touthmès, les Aménophis, les Séthi, les Ramsès, couvrent leurs pylônes d’images orgueilleuses, certes, s’ils avaient pu connaître les pauvres tribus d’origine hyperboréenne qui chantaient les Védas sur les bords du Haut-Indus, la tribu énergique et passionnée qui, bien plus près d’eux, courait les aventures héroïques à la suite de Barak et de Débora, ils auraient eu peine à croire qu’à ces misérables poignées de nomades appartenait l’avenir. Cela était vrai cependant. Au VIIe siècle, l’Égypte, désorganisée, ne reprend un peu d’ordre que grâce à une bande de mercenaires grecs jetés par hasard sur ses côtes et enrôlés par Psammétique. En 528, il suffit de l’apparition d’une armée achéménide pour l’abattre ; Alexandre et ses successeurs inaugurent définitivement pour elle ce long régime de servitude qui ne finira plus.

Voilà la signification de l’Égypte dans le développement de l’humanité.