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ne s’aperçoit pas chez les peuples sémitiques, lesquels ont toujours eu en horreur les symboles sculptés. Chez les Aryens, ce n’est nullement le déisme qu’il faut placer à l’origine ; mais l’esprit humain a des variétés infinies : il n’y a pas deux points de l’espace et de la durée où il ait agi de la même manière. La Chine a bien débuté par où les autres peuples finissent, par des aphorismes de moralistes et une pleine indifférence pour toute croyance surnaturelle. Il ne faut jamais dire à priori qu’une combinaison est impossible en histoire. C’est vraiment dans le sein de l’humanité que tous les possibles ont existé ou existeront. Les races plates, comme l’Égypte, la Chine, bien que fort inférieures aux races idéalistes, les ont devancées en bien des choses et sont parfois arrivées du premier bond aux résultats qui chez ces dernières ont été le fruit lent de la maturité ou de la décrépitude.

Et la Grèce, cette mère glorieuse de toute vraie civilisation, de toute science, de tout art, de toute philosophie, de toute éloquence, de toute vie noble, ne dut-elle pas quelque chose à l’Égypte ? Elle lui devrait beaucoup, s’il fallait en croire les assertions des Grecs eux-mêmes ; mais, chose étrange, les Grecs sont en pareille matière ceux qui doivent être le moins écoutés. Les Grecs, comme toutes les races fines, spirituelles, dégagées de préjugés, admiraient beaucoup les civilisations étrangères et volontiers les préféraient à la leur. Pendant que l’Égyptien borné s’imaginait, comme le mandarin chinois, que le cercle étroit où régnaient ses habitudes d’éducation était la limite du monde, les Grecs, guidés en ceci par une vue juste de l’antiquité de la monarchie des bords du Nil, aimaient à s’attribuer une origine égyptienne, et trouvaient en cette origine prétendue un titre de noblesse. Ne voyons-nous pas de même l’Anglais, à l’esprit lourd, étroit et absolu, n’admirer que l’Angleterre, ne parler que de l’Angleterre, tandis que le Français, libre de préjugés, ouvert à toutes les idées, passe sa vie à critiquer son pays, à simuler l’anglomanie ? Le fait est que, ni dans les découvertes de la philologie comparée, ni dans les renseignemens positifs fournis par l’égyptologie, rien n’est venu donner une ombre de vraisemblance à ces colonies égyptiennes rattachées aux noms fabuleux d’Inachus, de Cécrops, de Danaüs. C’est à une époque relativement moderne, à l’époque de la dynastie saïte (665-527 avant Jésus-Christ)[1], que la Grèce commence à faire des emprunts à l’Égypte. Ces emprunts, à ce qu’il semble, portèrent principalement sur l’art de bâtir. Bien certainement les ancêtres des Grecs, quand ils arrivèrent sur les bords de la mer Egée, ne construisaient

  1. Saïs est en effet donnée comme le point de départ de la colonie de Cécrops, et mise en rapport direct avec Athènes. — Voyez le Timée et ce qu’Hérodote dit des propylées de Saïs.