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hautes[1]. Disons-le toutefois : depuis 1852 jusqu’en 1858, le Danemark jouissait d’une paix relative du côté de ses redoutables voisins. La guerre des pamphlets et des journaux continuait, il est vrai ; mais les cabinets évitaient volontiers de reprendre le débat, et, si le Bund intervenait de temps à autre avec ses remontrances à Copenhague, c’était plutôt pour empêcher les libertés constitutionnelles de se développer à l’aise dans la monarchie de Frédéric VII que pour entamer « la grande œuvre. » Le vent soufflait alors à la réaction : M. de Manteuffel et M. de Buol avaient garde de se créer des embarras au dehors et d’exciter les passions à l’intérieur. Rien ne peint mieux les dispositions résignées des hommes d’état germaniques à cette époque que la réponse faite par M. de Pfordten le 23 mai 1853 à une députation des Holsteinois qui vinrent porter devant lui les doléances de leurs frères opprimés dans le Slesvig. « Les gouvernemens allemands, dit alors le premier ministre de Bavière, ont bien mal apprécié la cause des duchés, et par leur assistance n’ont fait qu’empirer la situation de ces provinces, que des avocats et des professeurs avaient agitées et entraînées. Les duchés sont la propriété du Danemark, et si j’étais ministre holsteinois, je daniserais le pays, dût une migration des peuples s’ensuivre[2]. »

Peu d’années s’écoulèrent, et M. de Pfordten vint tenir un tout autre langage ; il devait même se signaler parmi les avocats[3]les plus ardens, les plus intraitables de la sainte cause des duchés ! C’est que depuis 1859 les esprits de l’autre côté du Rhin avaient reçu une forte, impulsion, et que, selon une expression officielle, une « ère nouvelle » (Neue Aera) venait de commencer. Grâce aux événemens du dehors et de l’intérieur, à la guerre d’Italie et à la régence du prince Guillaume de Prusse, la Germanie reprenait son essor vers la vie politique, sa course éperdue à l’unité et à la liberté à travers les trente-huit barrières de ses trente-huit souverainetés, et, comme toujours, la pensée du Slesvig-Holstein finit par l’emporter bien vite sur toutes les autres idées de progrès et de ré-

  1. M. Reventlow-Preetz fut promu en Prusse à la pairie à vie, M. Beseler à la dignité le chancelier de l’université de Bonn, M. Droysen devint professeur à la même université, M. Esmarch fut nommé conseiller de la cour d’appel suprême en Poméranire, M. Geertz capitaine de l’état-major-général de la Prusse, le docteur Lorentzen rédacteur du journal officiel de Berlin ; MM. Francke et Harbou ne tardèrent pas à être premiers ministres à Gotha et à Saxe-Meiningen, etc. Ils avaient tous figuré dans le gouvernement provisoire ou dans l’insurrection des duchés. Ajoutons que Dahlmann vivait encore : il était professeur à Bonn et exerçait une influence considérable sur toute l’Allemagne.
  2. Voyez la Gazette de Cologne du 11 mars 1865.
  3. Voyez le Rapport du baron de Pfordten, ministre de Bavière près la diète germanique, sur la succession dans le Schleswig-Holstein. Francfort 1864.