d’une stupeur et d’une consternation faciles à comprendre. La missive sonnait en effet le glas funèbre de l’intégrité du Danemark : elle déchaîna en Allemagne la tempête qui au bout d’un an devait engloutir la moitié des états de la monarchie Scandinave. La dépêche était datée : Gotha, 24 septembre 1862, et portait la signature de lord John Russell.
« La question des duchés, disait ingénument un mémorandum germanique du commencement de 1863[1], a donné matière à un entassement de pièces d’une abondance qui n’a été égalée par aucun procès politique ou civil des temps modernes, » et il est juste d’ajouter que la Grande-Bretagne n’a pas fourni le contingent le plus mince de cette formidable collection de papiers. Le cabinet de Saint-James n’a cessé de suivre attentivement, scrupuleusement le démêlé dano-allemand dans ses oscillations les plus fugitives, et d’intervenir à tout moment par des conseils, des remontrances et des notes. Lord Malmesbury n’a fait qu’un court passage au pouvoir dans l’année 1858, à l’époque relativement la plus calme du long différend : il a pourtant trouvé le moyen (ainsi que le racontait plus tard M. Layard, à la grande hilarité de la chambre des communes) pendant les quinze mois de son ministère d’enrichir le foreign-office de « sept nouveaux et gros volumes in-folio » de correspondance relative aux duchés. On se doute combien plus fertile a dû être dans les temps qui suivirent la plume remuante, diserte et volontiers dissertante de lord John : sa correspondance fut infatigable, intarissable, pragmatique, comme devait l’appeler plus tard « et sans malice » le très honorable M. Disraeli[2]. Toutefois, pour être plus agité et agitant, le comte Russell n’en gardait pas moins, jusqu’en l’automne 1862, l’attitude traditionnelle des ministres britanniques dans ce litige ; il suivait la ligne de conduite
- ↑ Voyez le mémorandum du baron Plessen au comte Platen, ministre de Hanovre (dépêche de M. Howard au comte Russell, 26 février 1863).
- ↑ Le nombre des pièces présentées au parlement anglais pendant la première session législative de 1864, et relatives aux affaires du Danemark dans la seule année 1863, montait à huit cent quarante-cinq numéros, sans compter le volume des protocoles de la conférence de Londres. Ces pièces, distribuées par intervalles, au fur et à mesure de l’impression, portaient le titre général de Denmark and Germany, qui n’a pas varié ; mais le sous-titre subit une altération caractéristique dans le cours de l’impression… et des événemens. Le sous-titre de la première livraison disait encore : « Cor. respondence respecting the maintenance of the integrity of the Danish monarchy ; » dans les livraisons suivantes, il fut modestement changé en « Correspondence respecting the affairs of the duchies Holstein, Schleswig and Lauenbourg. »