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devant un nouveau jury. Les portes s’ouvrent alors ; le nouveau docteur voit avec étonnement Cuvier et d’autres graves académiciens, revêtus des insignes réglementaires, s’approcher de lui, l’affubler d’un grand chapeau garni de lampions et lui faire subir la cérémonie du Malade imaginaire, sans épargner ni les bene, ni les juro, ni les dignus est intrare. M. Meunier, que ne séduisent pas les gaîtés académiques, prend cette mascarade par le côté moral. Il s’étonne, et il n’a sans doute pas tort, que ni Duméril, qui a imaginé cette plaisanterie, ni Cuvier, qui l’a exécutée, ni le secrétaire perpétuel, qui la raconte comme un trait de bon goût, n’aient remarqué qu’elle couvrait un acte de favoritisme.

Si M. Meunier est ardent dans ses attaques contre les savans officiels, il ne montre pas moins de passion dans le choix de ses doctrines. Il est le champion-né de toutes les théories qui déplaisent aux grands feudataires de la science. Il défend la cause des générations spontanées avec une énergie qui se traduit par de regrettables violences de langage contre M. Pasteur. Nous avons à peine besoin de dire qu’une pente naturelle le porte à tirer du livre de M. Darwin les conséquences les plus désagréables pour les partisans de la fixité des espèces. Les différentes découvertes qui tendent à prouver l’existence antédiluvienne de l’homme n’ont pas de défenseur plus convaincu que lui. Il venge M. Boucher de Perthes de la longue indifférence du monde savant. On s’est tu pendant vingt ans sur les découvertes de M. Boucher de Perthes, et on ne se hasarde maintenant à en admettre la réalité que par suite d’une manœuvre qui assure les derrières des « doctrinaires de la science. » Obligés de reconnaître que l’homme a été contemporain des grands quadrupèdes éteints, de l’éléphant primitif, de l’ours et du lion des cavernes, ils prétendent aujourd’hui que ces animaux ne sont pas fossiles et qu’ils ont perdu la vie dans le déluge de la Genèse.

Quand M. Meunier a devant lui des adversaires dont le caractère lui est antipathique, il prend un ton acerbe qui non-seulement gâte son style, mais qui ôte même à sa polémique toute justesse. Il faut, pour le goûter, suivre les discussions qu’il soutient sans animosité ; il est très suffisamment vif quand il est de sang-froid. Nous pouvons citer en ce genre sa querelle avec M. Hœfer au sujet des habitations lacustres. On sait que, depuis une dizaine d’années, des habitations bâties sur pilotis ont été retrouvées au fond de plusieurs lacs de la Suisse, et que la plupart des savans qui les ont examinées se sont accordés à y reconnaître la trace de races humaines disparues avant les temps historiques. M. Hœfer eut l’idée d’attribuer ces demeures à des castors qui auraient été, à une époque reculée, les possesseurs de la contrée. M. Meunier lui montre que jamais castors n’ont pu fendre des troncs de chêne, de hêtre, de bouleau et de sapin, ni employer le feu et la hache pour façonner en pointe des extrémités de pieux. On trouve, il est vrai, dans les habitations lacustres, des os de castors ; mais on y trouve aussi des os de gros mammifères. Les castors, auraient donc mangé des bœufs et des chevaux ? Mais mille objets trahissent la présence de