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personnels les plus douloureux. Qui sait ? le pouvoir, la majorité, seraient peut-être touchés de ces sacrifices courageusement consentis. Le jeune et éloquent libéral ferait tomber ainsi le prétexte de la défiance qu’avaient pu rencontrer du côté du gouvernement ses premières revendications. On ne pourrait plus l’accuser d’arrière-pensée, le soupçonner d’hostilité, dénoncer dans ses protestations libérales le calcul et les manœuvres d’un ennemi. Il aura espéré que la liberté ne serait plus suspecte quand son défenseur aurait cessé lui-même d’être suspect. Il n’y avait plus à hésiter : pour rendre le gouvernement libéral, il fallait faire la moitié du chemin et inaugurer le libéralisme gouvernemental. M. Emile Ollivier aura vu là sans doute un rôle qui n’était point rempli, un rôle qui peut être utile à la liberté et au pays. Ce rôle hardi et difficile l’aura tenté : il s’en est emparé avec décision. La tâche que M. Emile Ollivier s’est assignée lui eût été assurément plus aisée, si M. de Morny eût vécu. Le président du corps législatif lui eût continué les encouragemens qu’il lui avait déjà donnés depuis quelque temps d’une façon très ouverte et fort engageante. En montrant qu’il ne se laissait point détourner de son but par une perte telle que celle de M. de Morny, M. Emile Ollivier a fait preuve d’une grande résolution et d’une grande confiance en lui-même. Nous le répétons, nous ne jugeons point M. Ollivier ; nous nous efforçons de le comprendre. Aussi bien des évolutions de ce genre ne sont point sans précédens dans notre histoire. Qui ne se souvient du concours donné à Napoléon pendant les cent jours par d’éminens libéraux et de sincères patriotes ? Qui ne se rappelle la conversion de Benjamin Constant après le 20 mars ? Seulement Benjamin Constant, en se rendant au grand homme qui venait tenter encore une fois la fortune, obtenait en échange l’acte additionnel. M. Ollivier est un Benjamin Constant qui n’a pas encore l’acte additionnel dans sa poche.

Quoi qu’il en soit, si on lit le discours de M. Ollivier à tête reposée, on est bientôt frappé du service que peut rendre à la cause libérale une situation semblable à celle que le jeune député s’est créée. Toute la partie de son discours où il montre que l’intérêt du gouvernement, d’accord avec son devoir envers le pays, lui conseille de compléter la constitution par l’organisation des libertés publiques nous paraît irréfutable. M. Ollivier a le juste sentiment, le sentiment moderne de ce que les institutions doivent aux générations contemporaines et de ce que la participation libre des citoyens aux affaires apporte de sève et de force à un pouvoir populaire. Les peuples modernes, la France surtout, rajeunie et sans cesse inspirée par le grand effort de 1789, ne peuvent plus se gouverner de haut en bas. Le génie politique, la connaissance des intérêts, les capacités dirigeantes ne peuvent plus résider exclusivement dans une sphère élevée et isolée ; les gouvernans ne sauraient plus trouver leur force dans une orgueilleuse et inaccessible solitude. Il faut que la vie monte sans cesse et redescende par tous les canaux du corps social et politique. C’est cette saine et magnifique