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état de choses, il semble que se préoccuper seulement des développemens à donner à la constitution, c’est déjà travailler à augmenter le nombre et la force des adhésions sur lesquelles cette constitution est destinée à s’appuyer. De notre temps, sous le présent régime, étudier, élaborer dans un débat contradictoire les libertés complémentaires par lesquelles peut se continuer et s’achever l’organisme constitutionnel, ce n’est pas seulement, ce nous semble, obéir à une généreuse inspiration libérale, c’est montrer encore et surtout un véritable esprit de conservation prévoyante. Tel est pour notre compte l’effet que nous eussions attendu de la discussion générale de l’adresse.

Cette discussion a été ouverte par un discours de M. Emile Ollivier, discours très médité et fort digne d’attention à plus d’un titre. Indépendamment de sa valeur doctrinale, ce discours a ce caractère de manifester une curieuse évolution exécutée par l’homme politique qui l’a prononcé. Nous parlerons peu de cette évolution ; nous croyons que la France présente a un trop grand besoin de voir pratiquer dans son sein la tolérance politique pour avoir la volonté, quand même nous en aurions la tentation, de juger avec intolérance la conduite politique de M. Emile Ollivier. Les antécédens de cet orateur sont connus, il y a fait allusion lui-même l’autre jour : ses premières opinions le ralliaient à une forme politique différente de celle qui prévaut aujourd’hui ; il avait été envoyé au corps législatif avec un baptême d’origine qu’il invoqua hardiment une fois par ces propres paroles : « moi qui suis républicain ! » M. Ollivier a cessé de croire à l’excellence absolue d’une forme particulière de gouvernement ; il offre son concours à un empire libéral. Nous n’essaierons point de porter un jugement sur cette conversion. Peut-être M. Ollivier eût-il agi plus sagement, s’il en eût évité l’éclat inutile ; peut-être eût-il pu s’épargner un empressement surabondant, peu opportun et assez mal motivé sur un échange de procédés personnels entre la majorité et lui, et ne pas tant se hâter d’annoncer qu’il voterait l’adresse. M. Emile Ollivier a été un peu jeune en cela, et qui sait si tel incident imprévu de la discussion de l’adresse ne rendra point pénible à son cœur l’exécution d’une telle promesse ? Mais nous ne recherchons point contre M. Ollivier des sujets de blâme ; nous nous attachons plutôt à comprendre ses intentions. Avec le talent et l’amour ardent et raisonné que nous lui connaissons pour la liberté, nous ne pouvons attribuer à M. Ollivier que des intentions généreuses. Ce sont les intérêts de la liberté qui ont inspiré sa conduite. Il aura cru que, pour seconder la cause de la liberté, il ne lui suffisait point de demeurer avec une loyauté stoïque dans la limite légale de son serment de député ; il aura pensé que, pour amener le gouvernement à la liberté, il fallait faire au gouvernement, au nom de cette cause aimée, des avances extraordinaires et signalées. Une démarche qui pouvait attrister ses anciens amis aura pris alors à ses yeux les proportions d’un devoir supérieur qu’il fallait remplir au prix des sacrifices