Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en elle-même, nous est d’autant plus suspecte, qu’aux yeux de l’humoristique et paradoxal voyageur le nègre est évidemment une créature infime, une espèce de machine douée de vie et destinée par la Providence au défrichement des régions où le travailleur blanc ne saurait s’acclimater avant qu’elles aient été convenablement assainies. Cette œuvre accomplie et le globe entier mis en valeur, le capitaine Burton signerait sans sourciller un décret qui, par des procédés plus ou moins sommaires, supprimerait ici-bas la postérité de Cham ; il verrait disparaître sans lui donner un seul regret cette race incapable, imprévoyante, paresseuse, adonnée au mensonge et aux brutalités sensuelles, qui n’a ni l’instinct de l’obéissance raisonnée, ni celui de la résistance indomptable, — faite dès lors pour le despotisme et condamnée par ses qualités comme par ses vices à perpétuer les honteuses traditions de l’esclavage.

Pour un homme placé à ce point de vue spécial, peu importait, on en conviendra, que le roi de Dahomey ajoutât une centaine de meurtres à ceux dont il était déjà responsable. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’en partant quelques semaines plus tôt, l’agent de lord John Russell ne les aurait pas empêchés. Il aima donc mieux se ménager une traversée moins difficile et passer quelques jours encore à Buena-Vista, dans cette espèce d’Eden où il avait fini par s’acclimater à merveille, jardinant une heure avant le lever et une heure après le coucher du soleil, consacrant le milieu du jour à des lectures acharnées et rédigeant le soir, entre une pipe et une tasse de thé, ses observations sur les mœurs des Bubé, — les natifs de Fernando-Po.


I

L’Antelope, frégate à vapeur sur laquelle l’envoyé britannique avait pris passage, arriva le 2 décembre en face de Lagos, ville pestilentielle, aux marigots infects et fiévreux. Trois incendies qui s’étaient succédé à un mois de distance (octobre et novembre 1862, janvier 1863) ayant ouvert un champ libre aux améliorations, la colonie européenne, — soixante-dix âmes tout compris, — travaillait à s’y créer une existence moins menacée ; mais malgré l’élargissement des rues, le drainage des habitations, l’établissement d’un corps de police, la mort continuait ses ravages. En treize jours, on n’avait pas eu moins de neuf décès à constater parmi, la population blanche, et la terreur planait sur cette malheureuse cité, où les discordes civiles menaçaient d’ajouter leurs fléaux à ceux de la malaria. Chacun y était en alerte, la main sur ses armes.