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Le capitaine se hâta d’y recueillir les présens adressés au roi de Dahomey et continua sa route vers Whydah, où l’Antelope jeta ses ancres le 5 décembre, et attendit jusqu’au 8 la réponse de sa majesté africaine aux notifications du nouveau chargé d’affaires. Cette réponse ayant été favorable, la frégate repartit, laissant M. Burton sous la protection d’une simple canonnière, la Pandora, qui stationnait à poste fixe devant le « Liverpool du Dahomey. » Cette désignation appliquée à Whydah n’a rien qui doive surprendre, puisque tout le commerce du royaume avec l’étranger s’y était effectivement concentré, — malgré la fièvre, la dyssenterie, le mauvais air des lagunes peuplées de requins, — entre les mains d’un certain nombre d’Espagnols, de Portugais et de Brésiliens. Cependant, depuis que la traite des noirs rencontre de plus sérieux obstacles, ces trafiquans émigrent ou liquident leurs affaires, et M. Burton a pu consigner dans une note de son livre les noms de ceux que le malheur des temps n’a pas tout à fait découragés. On prévoit d’ailleurs que d’ici à une dizaine d’années le commerce du coton et de l’huile de palme les aura tous enlevés à celui du « bois d’ébène. » En attendant, malgré les croisières des marines européennes, il se fait encore çà et là quelque opération de contrebande, et ce retour aux bons vieux usages devient inévitablement le signal d’une véritable fête à laquelle on ne saurait s’abstenir de prendre part sous peine d’être mal vu. Le vin, la caxaça, le rhum, coulent à flots ; on s’enivre, on danse, on fait ripaille, et tout cela pour saluer le départ d’un navire où plus de six cents malheureux, entassés à fond de cale, inaugurent par des souffrances atroces l’existence maudite à laquelle ils sont désormais voués !

Un voyageur comme le capitaine Burton ne s’étonne pas pour si peu. Ces choses lui paraissent naturelles, simples et logiques. Il a même pour les agens de la traite une sorte de sympathie placide et sans étalage qui exclut toute idée d’ironie systématique ou de fanfaronnade paradoxale. Sans trop modifier le ton qu’il a pris pour rendre hommage aux lumières et à la piété des missionnaires catholiques français établis à Whydah, avec le même sang-froid impartial qui l’empêchait tout à l’heure de céder à ses préjugés protestans, le capitaine Burton esquisse en quelques lignes la carrière du négrier le plus riche et le plus considéré.


« Lorsque je me présentai chez M. J. Domingo Martinez, chef de la meilleure maison de Whydah, il était souffrant depuis quelques semaines, mais on ne le croyait pas en danger. Il mourut néanmoins le 25 janvier 1864, pendant que nous étions dans la capitale du royaume, et sa mort fut occasionnée par un accès de fureur, ce qui n’est pas très rare dans ces pays à haute température. Depuis longues années, il avait la souveraineté virtuelle,