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récriminations de M. Thuillier ; nous croyons que la cause de la presse n’aura point à souffrir beaucoup de cet ardent réquisitoire. Qu’a prouvé M. Thuillier par ses citations relatives aux journaux ? Que la presse, dans les temps de révolutions, a pu être un instrument de désordre ? Croit-il qu’on l’ignorât, et qu’y a-t-il à cela de surprenant ? Les époques révolutionnaires sont des époques de désordre, et tout y devient aux mains des factions qui s’entre-choquent instrument de perturbation. Est-il philosophique et politique de chercher dans ces terribles exceptions des motifs plus particuliers de condamnation contre la presse que contre les autres manifestations de la vie publique ? Est-il équitable de toujours parler à propos de la presse des excès commis par les hommes qui en ont été la honte et le rebut, et de se taire systématiquement sur les services rendus par les hommes qui en ont été la force et l’honneur ? Qui pourra calculer ce que la presse a fait, même en France, dans les temps réguliers pour l’instruction et l’éducation politique du public ? Qui pourra dire les exemples de fermeté et les leçons de courage qu’elle a donnés dans les troubles révolutionnaires, non-seulement à la foule des citoyens, mais aux hommes d’état ? Si l’on avait à porter un jugement impartial, équitable sur la presse française, on prouverait facilement que ce n’est point elle qui est responsable des violences qu’on lui impute. On a commis chez nous la première faute de donner une importance politique excessive à la presse en la soumettant à un régime légal exceptionnel, en la faisant sortir du droit commun pour soumettre les délits ou les crimes commis par la voie des publications à des mesures répressives ou préventives spéciales. Presque toujours comprimée, ne se manifestant que par intermittences, il est naturel que la liberté de la presse chez nous se soit laissé emporter dans ses réveils à des réactions violentes, et n’ait jamais eu le temps de prendre son aplomb régulier. On ne réfléchit pas assez en outre que la presse n’a jamais été équilibrée en France par le contre-poids des autres libertés, et que ses écarts sont surtout provenus de ce défaut d’équilibre : l’influence des journaux n’a point été tempérée par la pratique des droits de réunion et d’association ; l’initiative individuelle ou collective dans la vie publique n’a guère trouvé d’issue que dans le journal. De là un surcroit d’importance pour la presse française dans ses momens de liberté et pour elle aussi un accroissement de péril. En Belgique, en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, la presse ne traverse point les éclipses qu’elle a subies en France parce qu’elle y est contre-balancée par l’ensemble des autres libertés politiques. Dans un pays où la liberté de la presse a été affermie par le temps et par l’exercice simultané des autres libertés, nous venons de voir un gouvernement populaire subir l’épreuve de la plus formidable guerre civile qui ait jamais déchiré un état au milieu de journaux complètement libres, plusieurs des plus influens parmi ces journaux soumettant la politique du président et la conduite des généraux aux critiques quotidiennes les plus sévères et