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sinon nominale, d’un village appelé Kutunun, petit poste de l’intérieur très convoité en dernier lieu par les nouveaux protecteurs de Porto-Novo. Ceux-ci employèrent si bien leurs dollars que le roi, dépêchant sa canne[1] à M. Martinez, avisa « son ami » de la prochaine arrivée d’un autre blanc désormais admis aux mêmes droits et investi des mêmes pouvoirs. En écoutant ce décret fatal, qui, sous prétexte de lui donner un collègue, lui enlevait en réalité la couronne, le roitelet dépossédé roulait des yeux hagards et perdit tout d’abord contenance ; puis, lorsqu’il eut pu apprécier la portée de cette combinaison machiavélique, il se prit à trembler de la tête aux pieds. Un évanouissement fut la suite de cette forte émotion, et le soir même il succomba, probablement à une attaque d’apoplexie.

« M. Martinez, étant un des caboceers[2] du Dahomey, avait droit au parasol, au fauteuil et autres insignes de ce rang. Il a souvent répété dans ses dernières années, — ce qu’ont pu dire avant lui bien des gens, sans compter ceux qui le diront après nous, — « qu’il avait connu trop tard le naturel africain. » En vertu du droit d’aubaine que le roi revendique sur tous les biens de ses sujets décédés, les clés de la maison Martinez furent saisies aussitôt après la mort du propriétaire par le vice-roi de Whydah, nonobstant l’existence d’une nombreuse famille, issue tout entière des rapports du défunt avec les femmes indigènes. Son fils aîné, Domingo-Raphaël Martinez, n’a guère plus de vingt ans. L’anglais et le français lui étant familiers, on ne peut pas le regarder, comme absolument dépourvu d’éducation, bien que son père ait dû le tenir aux fers plusieurs années de suite pour le corriger de son penchant à jouer du couteau. Il serait à souhaiter pour cet héritier du sang que son auteur ait laissé quelques fonds à Bahia dans les mains de ses cosignataires habituels.

« Le commerce des esclaves (slaving interest) a fait une perte sensible dans la personne de M. Martinez, qui avait d’ailleurs ses bons côtés. Les Anglais par exemple, dont l’hostilité persistante aurait pu l’irriter, n’eurent jamais qu’à se louer de sa courtoisie hospitalière. De plus, comme da Souza, le premier chacha ou contrôleur du commerce[3], il était opposé

  1. Ce symbole d’autorité donne au messager qui en est porteur un caractère tout à fait officiel.
  2. Caboceer, du mot portugais caboceïro, équivaut à celui de capitaine. C’est le titre donné aux chefs de village et plus généralement aux fonctionnaires investis d’une certaine autorité.
  3. Ce personnage, dont parlent le commandant Forbes (Dahomey and the Dahomans, etc., t. Ier, p. 196) et l’auteur plus ou moins apocryphe du Capitaine Canot, était parti de Rio-Janeiro en 1810, non pas, comme disent les uns, par suite d’une condamnation politique ou, comme d’autres l’ont affirmé, pour se soustraire au châtiment qu’une désertion militaire lui aurait valu ; ce n’était qu’un simple paysan, curieux de voir le monde. Il devint on ne sait comment gouverneur du fort portugais à Whydah, et fut ensuite promu vers 1843 aux fonctions de chacha, qui impliquent la direction des affaires commerciales traitées entre le roi du Dahomey et les négocians étrangers. Son autorité supérieure à toute autre, sauf à celle du vice-roi, le droit de préemption qu’il avait sur les marchandises importées, le règlement des tarifs d’alcavala ou de douane, lui donnèrent de merveilleuses facilités pour s’enrichir. Il parait en avoir profité largement, et pratiquait du reste sur une grande échelle les vertus hospitalières que le capitaine Burton semble priser avant tout.